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Diaspora, ressources naturelles… Les atouts de l’Afrique en développement

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JOL Press : Dans sa lettre, la présidente de la Commission de l’UA évoque l’idée d’une Confédération des États africains, ou encore d’une Communauté économique africaine. Quels avantages pourrait trouver l’Afrique à se constituer en « bloc régional » ?
 

Henri-Bernard Solignac-Lecomte : Un bloc régional efficient, au niveau continental, n’est pas un projet à court terme. Les choses prennent du temps, et 50 années ne seront pas forcément suffisantes. Par exemple, l’Union européenne connaît parfois des moments d’accélération et d’autres où les choses n’avancent pas. Il faut être très réaliste et pragmatique sur ce que l’on peut effectivement atteindre en la matière. Néanmoins, les progrès réalisés par les économies du continent africain, notamment dans leur capacité à créer de la richesse, au cours des dix dernières années, peuvent nous rendre optimistes quant aux moyens qu’elles pourront y consacrer.

Davantage de connexions entre les pays africains

La constitution d’un « bloc régional » permettrait, d’une part, de créer plus de connexions entre les pays africains, plus de facilité à commercer et donc de renforcer la compétitivité des économies. Les entreprises régionales et sous-régionales pourraient croître en taille et en puissance et, à terme, pourraient se lancer à la conquête de marchés en dehors du continent africain. Mais pour cela il faut du temps : il y a toujours, au début, des gagnants et des perdants, et donc  des résistances à l’intégration régionale, en dépit des discours extrêmement volontaristes notamment concernant l’intégration commerciale. Chaque pays veut protéger ses « champions » nationaux, ses industries, et ne veut pas forcément permettre aux économies les plus compétitives de conquérir son propre marché.

Par exemple, dans la Communauté des États d’Afrique de l’Est (Tanzanie, Kenya, Ouganda, Burundi, Rwanda), qui est certainement l’exemple le plus réussi d’accélération de l’intégration régionale en Afrique ces dernières années, une économie – le Kenya – est clairement plus forte que toutes les autres (un peu comme l’Allemagne en Europe). Toute libéralisation de l’accès au marché entre ces pays profite donc d’abord aux entreprises kényanes même si, à long terme, les bénéfices seront étendus à l’ensemble des pays. Mais à court terme, les pays ont toujours peur d’une concurrence accrue de la part des économies les plus fortes.

Une capacité de négociation plus forte

L’autre avantage de constituer un « bloc régional », c’est une capacité de négociation plus forte par rapport au monde extérieur, aux multinationales et aux partenaires commerciaux. Le grand avantage qu’a l’Union européenne sur la scène internationale par exemple, c’est d’avoir abandonné au début des années 70 la souveraineté des États en matière de négociations commerciales. Ainsi, à l’OMC, l’Union européenne est le plus important des partenaires commerciaux. Imaginons alors que les 54 pays de l’Union africaine soient représentés par un seul commissaire à l’OMC comme c’est le cas pour l’UE : ses capacités de négociation seraient plus que décuplées !

JOL Press : Sur quelles richesses ou ressources naturelles disponibles pourrait compter l’Afrique dans les 50 années à venir ?

H.-B. Solignac-Lecomte : On sait aujourd’hui que l’Afrique est la partie du monde où les ressources naturelles énergétiques, minérales et agricoles sont les plus sous-exploitées et dans lesquelles il y a  jusqu’à présent le moins d’investissements. Là où les pays de l’OCDE et les pays d’Amérique latine et d’Asie investissent en moyenne 60 à 65 dollars par kilomètre carré dans l’exploration des gisements, l’Afrique en dépense en moyenne 5 dollars.

Avoir des ressources dans ses sous-sols n’est donc pas suffisant. Il faut investir dans leur découverte, dans leur certification et dans leur exploitation. Le continent africain est en retard sur ce point-là. Même si le Ghana a commencé récemment à produire du pétrole, que le Bénin s’y est remis, que des réserves ont été découvertes en onshore en Afrique de l’Est (en Ouganda par exemple), et que le Mozambique a récemment découvert des importants gisements de gaz naturel… Il y a donc un vrai boom des ressources énergétiques et minérales (cuivre, cobalt, manganèse, germanium, …) mais nous sommes encore loin d’avoir vu tout le potentiel que recèle le continent. Cette prodigieuse réserve de ressources naturelles sur laquelle l’Afrique peut compter est bien sûr un atout, mais qui demande aussi d’être valorisé par des politiques adéquates.

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JOL Press : La lettre de Madame Dlamini-Zuma insiste sur le fait que l’Afrique doit trouver les moyens de financer elle-même son développement pour ne plus compter seulement sur ses « partenaires ». Quels seraient ces moyens ?
 

H.-B. Solignac-Lecomte : C’est ce qu’on appelle la mobilisation des ressources domestiques. Toutes les expériences montrent que le financement du développement est d’abord un financement interne, et notamment par le biais des impôts. Aucun pays de taille conséquente ne s’est développé principalement à l’aide de ressources externes. Aujourd’hui, en moyenne, les pays africains collectent 11 fois plus de financement à travers les impôts qu’ils ne reçoivent d’aides extérieures. Il y a cependant une grande disparité entre les pays pétroliers comme la Libye, qui n’ont pas besoin d’aide extérieure parce que leurs revenus liés aux ressources naturelles sont extrêmement élevés, et les pays comme le Niger ou la Sierra Leone qui restent extrêmement dépendants de l’aide publique extérieure.

La capacité des pays africains à mobiliser leurs ressources domestiques est cependant largement inexploitée. On sait par exemple qu’il y a beaucoup d’impôts qui pourraient être collectés, pas seulement sur les multinationales, qui trop souvent arrivent à négocier des exemptions fiscales qui privent les États de revenus importants, mais sur les gros acteurs du secteur informel, les importateurs de céréales ou les gros commerçants par exemple, qui bénéficient aussi d’exemptions qui font qu’ils ne sont pas soumis aux impôts au même titre que d’autres contribuables.

Il y a d’autres types de taxes qui n’existent quasiment pas, comme celle sur le foncier urbain. Or, beaucoup d’investissements sont réalisés sur le foncier urbain et pourraient devenir une source de revenus importante. À l’inverse, on écrase d’impôts les petites entreprises du secteur formel, parce qu’elles sont souvent trop petites pour négocier des exemptions mais trop grosses pour se « cacher ».

JOL Press : La « vision 2063 » évoque également l’importance du recours à l’énergie « verte » et à l’énergie « bleue » (venant de la mer). Comment la question de la pollution et de la préservation de l’environnement est-elle prise en compte par les États africains ?
 

H.-B. Solignac-Lecomte : Cela progresse dans les discours. Ce qui est compliqué, c’est que les Etats africains ont souvent l’impression que les pays riches leur font la leçon alors qu’eux-mêmes ne se sont pas du tout astreints, pendant leurs propres années de développement, à des politiques respectueuses de l’environnement.

Il y a en revanche une prise de conscience des États africains de l’importance économique de l’environnement, à la fois positive, parce que l’Afrique en matière de biodiversité est un des plus importants contributeurs au bien être de l’humanité mais aussi négative, parce qu’il y a effectivement des risques de pollution, notamment dans les États où la régulation ne parvient pas à empêcher des excès, par exemple en termes de déversement de déchets. L’important trafic automobile de certaines métropoles africaines commence à représenter un coût pour la santé et pour la productivité des économies.

Certains pays commencent également à voir très concrètement les conséquences du changement climatique en matière de migrations. Par exemple, des populations affectées par une perturbation grave de leur environnement suite à l’accélération du changement climatique pourront migrer à l’intérieur de leur pays ou d’un État à l’autre. Bien sûr, c’est un problème d’action collective qui dépasse le seul cadre des politiques des États africains.

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JOL Press : Quel rôle joue la diaspora africaine dans le développement du continent africain ?
 

H.-B. Solignac-Lecomte : Elle joue un rôle de plus en plus grand. On le sait assez peu mais, aujourd’hui, le flux financier extérieur le plus important vers l’Afrique n’est pas l’aide au développement ni les investissements directs étrangers (IDE) : ce sont les transferts d’argent des migrants. On pensait que la double crise qui a frappé les pays de l’OCDE –crise des dettes souveraines en Europe et des subprimes aux États-Unis – et que la baisse des activités dans les pays riches où travaille la diaspora se traduiraient par une baisse des transferts des migrants mais cela n’a pas été le cas.

Il semblerait au contraire que les migrants, même s’ils ont plus de mal à gagner leur vie, se soient encore plus « serré la ceinture » pour pouvoir continuer d’envoyer de l’argent dans leur pays. C’est ce que certains experts appellent le « syndrome de la petite grand-mère » : les gens continuent d’envoyer de l’argent à leur grand-mère (ou leur famille) qu’ils ne veulent pas laisser tomber. Ces flux financiers n’ont toutefois pas le même impact sur le développement du pays que les flux d’IDE. Très souvent, ils sont affectés à des dépenses de consommation ou vers l’immobilier plutôt qu’à des investissements dans des structures productives.

On assiste enfin de plus en plus à une génération d’Africains, parfois nés à l’étranger, qui souhaitent revenir travailler sur le continent. Cette nouvelle génération aura un rôle important pour accélérer les réformes dont les pays ont besoin. La jeunesse est certainement un des atouts majeurs du continent africain. Il y a aujourd’hui en Afrique 200 millions de jeunes qui ont entre 15 et 24 ans et ils seront 400 millions d’ici à 2035. C’est le continent le plus jeune du monde. C’est un facteur d’espoir très important sur la capacité de changement potentiel du continent.

JOL Press : Un projet de série télévisée kényane, sorti il y a quelques mois, imaginait que l’immigration changerait de visage dans 50 ans : ce ne serait plus les Africains qui se rendraient en Europe, mais les Européens qui émigreraient en Afrique. Un tel basculement migratoire est-il envisageable dans les années à venir ?
 

H.-B. Solignac-Lecomte : C’est plus de la science-fiction que de la prévision économique ! Mais ce que l’on observe en effet, c’est qu’avec la crise que connaissent les pays de l’UE, certains Européens émigrent en effet en Afrique. On a par exemple vu les flux entre le Portugal et l’Angola s’inverser : beaucoup de Portugais sont partis chercher du travail en Angola, alors que c’était l’inverse il y a quelques années. Il convient cependant de préciser que ces mouvements-là ne sont pas forcément pérennes. Par ailleurs, des problèmes importants restent à surmonter sur le plan structurel en Angola avant de pouvoir assurer une soutenabilité de la croissance. Il pourrait y avoir alors un renversement de cette tendance, surtout si le Portugal sort de la crise.

Ce scénario de fiction avait déjà été évoqué dans le film Africa paradis (2007) : l’Afrique a réussi son unité et elle est devenue une terre prospère, mais l’Europe a vu s’effondrer ses performances et tout son acquis communautaire. Ce sont alors les Européens qui, dans ce scénario, émigrent en Afrique pour trouver du travail. Là où il y a 10 ou 20 ans l’Afrique était le continent de tous les désespoirs, certains pays africains, notamment en Afrique subsaharienne, présentent désormais des performances, au moins macroéconomiques, meilleures que celles de l’Europe. S’il faut là aussi savoir rester très prudents dans les conclusions que l’on en tire, c’est cependant une indication que le changement historique peut être plus rapide que l’on pense.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Henri-Bernard Solignac-Lecomte est directeur de l’unité Afrique, Europe et Moyen-Orient au Centre de développement de l’OCDE.

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