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Dispositifs antiterroristes: une nouvelle affaire Merah est-elle envisageable?

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Il y a deux ans, Mohamed Merah assassinait Jonathan Sandler, ses deux petits garçons Gabriel et Aryeh Sandler, ainsi qu’une petite fille, Myriam Monsonego, devant et dans le collège juif Ozar Hatorah. Et ce, quelques jours après avoir abattu le militaire Imad Ibn Ziaten à Toulouse puis deux parachutistes à Montauban, Abel Chennouf et Mohamed Legouade. De tels crimes pourraient-ils être de nouveau perpétrés en France ? Eléments de réponses avec Jean-Charles Brisard, spécialiste du terrorisme et ancien enquêteur en chef pour les familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001. Entretien.

JOL Press : Quels dispositifs antiterroristes ont été mis en place depuis l’affaire Merah ?

Jean-Charles Brisard : Depuis l’affaire Merah, sur le plan législatif, il n’y a pas eu de modification substantielle, mise à part la loi de décembre de 2012 qui prévoit la répression les Français qui choisissent de partir dans des camps d’entraînement sur des théâtres d’opération à l’étranger, en Afghanistan, en Syrie ou ailleurs. Les évolutions les plus importantes ont été faites sur le plan administratif : l’appareil préventif de la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur) a été profondément remanié dans ses processus.

Ce remaniement s’est fait à deux niveaux. On a renforcé les capacités d’évaluation pour permettre de soumettre une personne à l’évaluation de plusieurs agents de sorte qu’on ait une photographie la plus proche possible de la réalité. Au niveau de l’organisation de la DCRI elle-même, on a renforcé la coordination entre les services territoriaux et les services centraux. On sait qu’au cours de l’affaire Merah il y a eu un disfonctionnement au niveau de l’évaluation de la dangerosité de Mohamed Merah et, par ailleurs, l’évaluation des services territoriaux n’a pas été prise en compte par les services centraux de la DCRI.

JOL Press : Comment évalue-t-on la dangerosité d’un individu qui paraît suspect ?

Jean-Charles Brisard : Il existe de nombreux critères pour évaluer la dangerosité d’une personne. On analyse tout d’abord son engagement idéologique, individuel et personnel, c’est très important. Pour cela on scrute ses fréquentations, la littérature à laquelle il peut avoir accès et les lieux de prières qu’il fréquente, ces lieux sont des indicateurs très importants de radicalisation éventuelle. On évalue, par ailleurs, la capacité de la personne à se mobiliser pour des causes : est-elle capable de réagir très rapidement et de prendre les armes sur un théâtre d’opération à l’étranger ?

D’autres indices plus matériels peuvent attirer l’attention comme ses déplacements ou le fait qu’elle détienne ou non des composants explosifs ou des armes. On évalue aussi tout ce qui ressort, dans les communications téléphoniques et sur Internet, de l’apologie du terrorisme et tout ce qui peut indiquer une volonté, de la part de l’individu, de frapper.

JOL Press : Quelle est, selon vous, la plus importante faille dans l’affaire Merah ?

Jean-Charles Brisard : La plus grosse faille vient des services de renseignements, pas au niveau de l’identification, contrairement à ce qui a été dit au début l’identification a été parfaite – Mohamed Merah avait été identifié comme étant un individu dangereux – mais au niveau de l’exploitation et de l’évaluation de ces informations. Ce dysfonctionnement a permis à Mohamed Merah d’échapper à la vigilance des services de renseignement.

JOL Press : Une nouvelle affaire Merah est-elle envisageable en France  ou les dispositifs en place sont-ils suffisants ?

Jean-Charles Brisard : On ne peut jamais être certain d’être absolument prémuni de ce type de risque. Aujourd’hui, l’essentiel du dispositif préventif repose sur les services de renseignement, à travers la détection précoce et la surveillance des individus mais on ne dispose pas, au niveau législatif, d’instruments de prévention.

Depuis, 1996, les autorités peuvent prendre des mesures préventives, avant la commission d’un crime, à l’égard d’associations de malfaiteurs dans le but d’éviter un acte de terrorisme. On peut arrêter, à titre préventif, un groupe d’individus ou un individu seul – dès lors qu’il a des contacts avec l’extérieur – lorsqu’ils projettent une action terroriste. En revanche, pour le cas d’un individu complètement isolé – ce qui n’est pas le cas de Mohamed Merah qui avait des contacts à l’étranger – dans le cas d’un « loup solitaire », on est démuni. Face à un homme qui se radicalise seul sur Internet et qui, de manière autonome, envisagerait un acte terroriste, on ne peut rien faire avant une tentative d’attentat, s’il n’a commis aucune effraction comme la fabrication d’une bombe.

Il nous manque donc des instruments législatifs, comme cela existe dans d’autres pays à l’instar de la Grande-Bretagne, pour appréhender une personne à titre préventif, dès lors qu’il y a des actes préparatoires de sa part.

JOL Press : Malgré cela, peut-on dire que le dispositif français antiterroriste est un dispositif efficace ?

Jean-Charles Brisard : Le dispositif français est incontestablement efficace : entre 2002 et 2012, on a démantelé 13 filières de recrutement de djihadistes et plusieurs centaines de personnes suspectées d’actes de terrorisme ont pu être appréhendées. Par ailleurs, grâce aux services de renseignements, plus d’une trentaine d’attentats ont été déjoués sur le sol français, parmi lesquels des attentats majeurs : en 2000, l’attentat contre le marché de de Noël à Strasbourg, en 2001, l’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris ou encore, en 2002, le réseau Benchellali qui prévoyait des attaques biochimiques contre des cibles russes à Paris, mais aussi au forum des Halles à la Tour Eiffel ou dans des commissariats de police.

L’efficacité du dispositif français antiterroriste n’est plus à prouver, ce qui manque sans doute ce sont des moyens pour surveiller le nombre grandissants de Français qui partent se battre en Syrie. Actuellement, on peut surveiller quelques dizaines d’individus, en surveiller quelques centaines devient beaucoup plus problématique.

JOL Press : Le départ de ces jeunes en Syrie est-il au cœur des préoccupations du ministère de l’Intérieur ?

Jean-Charles Brisard : C’est, en effet, sur cette question que se porte aujourd’hui l’essentiel du travail du ministère de l’Intérieur pour pouvoir détecter ceux qui ont la volonté de partir et appréhender éventuellement ceux qui veulent partir. Mais la vigilance s’exerce surtout à leur retour parce qu’à leur retour un double problème se pose : ces personnes sont en capacité de recruter de nouveaux djihadistes, ces « guerriers » ont un très fort ascendant sur les jeunes et  peuvent les inciter à partir à l’étranger et, sur le plan opérationnel, certaines personnes, à leur retour peuvent être tentées par la commission d’actes terroristes en France.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Charles Brisard a été nommé enquêteur en chef dans le cadre d’une procédure judiciaire internationale pour les familles des victimes des attentats du 11 septembre. Auteur du premier rapport mondial sur les réseaux financiers d’Oussama Ben Laden, Jean-Charles Brisard est reconnu comme un expert et un enquêteur spécialisé dans le domaine du terrorisme, du financement du terrorisme et de la lutte contre le blanchiment.

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