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Et si le Front républicain favorisait le FN au lieu de le contrer?

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Le Parti socialiste veut jouer la carte du Front républicain à l’occasion du 2nd tour des élections municipales. « Partout où le maintien de la liste PS peut provoquer la victoire du FN, nous nous désisterons », a lancé le n° 2 du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Harlem Désir, le premier secrétaire du PS, a affirmé que son parti, Europe Ecologie-Les Verts et le PCF avaient « décidé du rassemblement le plus large » possible pour le second tour. Et le porte-parole du PS David Assouline a averti de son côté que les listes qui ne se retireraient pas en cas de menace FN n’auront pas l’investiture du PS.

Mais une telle stratégie est-elle efficace  dans le cadre d’élections au scrutin de listes ? Ne risque-t-elle pas de justifier l’argumentaire du FN qui consiste à faire croire que l’UMP et le PS font la même politique ? Eléments de réponse avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : En quoi consiste le Front républicain ?

Philippe Braud : Le Front républicain est une formule d’alliance électorale qui remonte à la IIIe République. A une époque où le régime était encore mal assuré de sa pérennité, il s’agissait alors de conclure une alliance électorale la plus large possible (des conservateurs républicains aux socialistes) pour faire barrage aux candidats monarchistes ou bonapartistes. Ce type d’alliance « Tous contre un » a joué plus tard au détriment du Parti communiste, entre 1947 et 1962. Puissant mais isolé du fait de son allégeance inconditionnelle à l’Union soviétique, le PCF suscitait contre lui une « union sacrée » jusqu’à ce que soient mises en place, avec le candidat Mitterrand à la présidentielle de 1965,  les fondations de la politique d’union de la gauche.

Dans un sens tout différent de celui qu’elle revêt aujourd’hui, l’expression Front Républicain a été utilisée par Pierre Mendès France aux élections législatives de 1956 pour sceller une alliance des socialistes avec les radicaux sur le mot d’ordre de la Paix en Algérie. Mais la volte-face du président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, a conduit Mendès-France à démissionner. La résurrection du concept de Front républicain date de 1982. Lors des élections municipales de Dreux, la fusion de la liste FN de Jean Pierre Stirbois avec celle du RPR avait provoqué un grand scandale et les appels au Front républicain se sont installés dans le paysage politique mais, cette fois, au détriment du FN.

JOL Press : Quels ont été les exemples les plus marquants de l’efficacité de ce Front républicain ?

Philippe Braud : Le plus spectaculaire est, bien entendu, le second tour de l’élection présidentielle de 2002. Au premier tour, Jacques Chirac, président sortant, ne réalise qu’un score très médiocre pour un président sortant : 19,88%. Sa chance aura été d’avoir comme adversaire Jean-Marie Le Pen, qui, par surprise devance Lionel Jospin. Le Front républicain permettra à Chirac d’obtenir plus de 82% des suffrages, le meilleur score de toute la Ve République. Mais ce résultat a laissé amer plus d’un électeur de gauche.

Quant aux élections législatives, il est rarement arrivé qu’un candidat FN arrive en tête d’un scrutin uninominal et polarise l’appel à l’unité contre lui.  Une certaine confusion a d’ailleurs toujours existé, du fait des réticences locales à s’incliner devant les souhaits ou les consignes des directions nationales. Sans parler de l’indiscipline des électeurs qui conservent leur jugement d’appréciation.

JOL Press : Face à « la menace FN », le PS oppose le front républicain. Mais une stratégie efficace pour des législatives ne perd-elle pas sa pertinence dans le cadre d’élections au scrutin de listes ? En se retirant, les socialistes perdent tout espoir d’obtenir des sièges aux conseils municipaux…

Philippe Braud : Oui, c’est un argument de poids qui fait hésiter les états-majors locaux. Renoncer à avoir des élus, au profit d’un rival mieux placé (du camp républicain), fait perdre beaucoup de visibilité locale. Un facteur qui risque de handicaper lourdement, dans les futures consultations. Par ailleurs, ce sont moins les étiquettes que les personnes qui font  l’élection dans les villes moyennes ou plus petites. Cela atténue la pertinence de cette stratégie.

JOL Press : Que peuvent faire les partis de gouvernement pour s’opposer efficacement au FN dans cet entre-deux tours ?

Philippe Braud : D’abord, jouer leur partition propre, dans la clarté et sans démagogie. Par ailleurs, et surtout, éviter d’introniser le FN en seul parti d’opposition réelle. Le FN ne prend aucun risque avec le Front républicain qui « justifie » son slogan : UMPS, tous les mêmes. Mais c’est surtout en amont de la consultation que le combat aurait dû être mené avec une explication plus courageuse des choix politiques opérés, douloureux mais nécessaires, pour le pays.

JOL Press : Au fond, n’est-ce pas le concept-même de Front républicain qui est dépassé ? 

Philippe Braud : Dépassé ? Il aurait fallu qu’il soir enraciné. Ce concept, en effet, a une fausse longue histoire. En fait, sous la IIIe République, il était avant tout un appel à l’union des gauches. Il ne niait pas le clivage droite/gauche.

Aujourd’hui, il déplace la ligne de fracture entre l’extrême droite … et le reste des partis politiques. Cela est très malsain. Non seulement parce que cela favorise le FN mais aussi parce que cela tend à nier les différences de sensibilités entre la droite et la gauche de gouvernement. Ce qui revient à miner la signification politique de l’alternance ; un test de santé, pourtant, de la vie démocratique.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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