Site icon La Revue Internationale

États-Unis: qui sont les libertariens?

6873764007_fda3d6cdfe_b.jpg6873764007_fda3d6cdfe_b.jpg

[image:1,l]

JOL Press : Qui sont les libertariens américains ? Quelle est leur doctrine ?

 

Anne Deysine : Le Parti libertarien américain a été fondé en 1971 par des membres du Parti démocrate, du Parti républicain et d’autres activistes politiques qui ne se reconnaissaient pas dans les deux principaux partis. En particulier, cette formation a été lancée par des républicains qui refusaient de soutenir la guerre du Vietnam.

A l’origine, ce mouvement découle de la rébellion des colons américains contre les Anglais et se fixe pour but la quête de la liberté absolue. Cela signifie pas de limitation des droits, pas de gouvernement, pas d’impôt. Pour les libertariens, l’Etat est illégitime par définition.

En fait, cette idéologie a été reprise par une des branches du Tea Party, qui rejette toute réglementation étatique et intrusion dans la vie privée. L’affaire Snowden et les révélations sur les écoutes de la NSA ont renforcé le courant libertarien ces derniers mois.

JOL Press : A partir de quel moment ce mouvement a-t-il commencé à émerger sur la scène politique américaine ?

 

Anne Deysine : L’accent mis sur les libertés a toujours été une composante essentielle du système politique américain – ce qu’on a d’ailleurs beaucoup de mal à comprendre en Europe.

Un exemple : à la suite du discours sur l’état de l’Union, prononcé par Barack Obama le 28 janvier, le Parti libertarien a fustigé les politiques du gouvernement visant à réduire les inégalités économiques. Cela peut nous sembler à nous, Français, totalement farfelu. Aux Etats-Unis, un tel propos n’est pas forcément choquant et peut être compris par une partie importante de la population.

Les libertariens ont commencé à devenir visibles après les années 1960, marquées, avec les Civil Rights, par la lutte contre les inégalités et le renforcement des droits des minorités. Ce mouvement s’est alors mobilisé en réaction à ce qui était considéré comme de l’interventionnisme étatique, et donc, selon eux, forcément abusif.

JOL Press : Les libertariens semblent plus marqués à droite qu’à gauche…

 

Anne Deysine : Il est certain que les libertariens sont plus proches des républicains que des démocrates. Ron Paul, le père de Rand, a par exemple été candidat à l’élection présidentielle de 1988 pour le Parti libertarien, mais il a aussi brigué l’investiture du Parti républicain pour les élections de 2008 et de 2012.

Les libertariens ont notamment été vent debout contre l’Obamacare, estimant qu’obliger les gens à s’assurer était une atteinte fondamentale aux libertés. Souvent classés à droite, ils peuvent néanmoins faire des alliances ponctuelles avec la gauche sur certains sujets, comme la protection de la vie privée.

Sur l’avortement, ils ne sont, en théorie, ni pour ni contre : ils estiment que ce n’est pas à l’Etat de légiférer pour l’interdire, le limiter ou en faire un droit.

Il faut leur reconnaître ce mérite : même s’ils défendent des positions étranges, voire ridicules ou inacceptables, leur idéologie est cohérente. Depuis plus de 20 ans, Ron Paul s’oppose à un Etat fort, que ce soit dans le domaine économique, juridique ou politique (sur le plan national et international).

JOL Press : Quel est leur poids électoral ?

 

Anne Deysine : Le Parti libertarien revendiquait plus de 280 000 membres en 2012, mais son influence n’est absolument pas homogène à travers le pays.

Les libertariens défendent par exemple le droit à porter une arme. Lorsqu’ils sont soutenus par la National Riffle Association (NRA), ils arrivent à faire élire des candidats – notamment dans les Etats du Sud, montagneux et/ou agricoles. Ils ont un certain poids dans les Etats dominés par les républicains. Ce parti est le troisième dans les intentions de vote mais il reste ultra-minoritaire : lors de la présidentielle de 2012, Gary Earl Johnson n’a obtenu que 1% des voix.

Le Parti libertarien n’est pas un parti de gouvernement, c’est une force de proposition, dont les idées, parfois provocantes, ont vocation à faire réfléchir. Ce sont des trublions qui, sans apporter de solutions, mettent le doigt sur des problèmes. Ils n’accèderont jamais au pouvoir mais resteront entendus, surtout avec la sénateur Rand Paul à leur tête, qui prend la suite de son père Ron.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

————————–

Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, Anne Deysine est professeur à l’université Paris Ouest Nanterre

Quitter la version mobile