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Faut-il soigner les jurés d’assises?

L’absurde principe de précaution a fait école. Il immobilise la France mais, pire que cela, par contagion il vient donner son mauvais exemple à une République qui se sent mal portante avant d’être malade et affaiblie malgré sa robustesse. En pleine forme, elle s’alite.

Un exemple terrifiant de bêtise vient de nous être offert de cette dérive qui, si on n’y prend pas garde, va constituer notre pays comme un territoire étrange où les citoyens seront suivis, comme par leur ombre, par des infirmiers et où les actifs seront soutenus psychologiquement tout simplement parce que le travail sera considéré comme une épreuve à surmonter.

On devient fou. C’est moins la conséquence, pour être honnête, de la conception socialiste du pouvoir et de son rapport avec la communauté nationale que l’expression d’un lent mais implacable délitement que pas plus la droite que la gauche ne parviennent à ralentir parce que l’une et l’autre, au contraire, le favorisent en accompagnant, en validant un mouvement collectif de déshumanisation, de répudiation insensible mais pourtant nette des exigences de liberté et de responsabilité. Plus globalement d’honneur, même si ce terme est devenu à l’évidence aujourd’hui un gros mot, et ce n’est pas le quinquennat précédent qui, sous toutes ses latitudes, pourra me contredire pas plus que les vingt et un mois de social-démocratie grise et déjà fatiguée – les idées succédanés des chagrins, a écrit Marcel Proust – que François Hollande et son gouvernement nous ont fait vivre.

Un appui psychologique pour les jurés 

Un député de la 3ème circonscription de la Mayenne, vice-président de l’UDI – il faut le nommer car il ne mérite pas de rester dans l’ombre : Yannick Favennec – n’a rien trouvé de mieux, en une période où déjà les billevesées ne font pas défaut, que de proposer la création d’une cellule de soutien psychologique en faveur des jurés d’assises. Comme il s’agit d’une élucubration, la garde des Sceaux l’a examinée avec bienveillance mais «cette belle avancée», selon ce même député qui ne recule vraiment devant rien, sera soumise «à une étude d’impact» dont le résultat sera évidemment communiqué à ce parlementaire. Je pourrais me gausser de ce lien qui naît inévitablement entre une suggestion aberrante et la compréhension du ministre de la Justice, et de cette «étude d’impact» qui ressemble à cette habitude de Christiane Taubira de cultiver l’apparence scientifique – cela fait sérieux ! – et, à la fois, l’enlisement dans le futur. Ce qui signifie que le député Favennec n’aura probablement jamais sa réponse mais là n’est pas l’essentiel.

Cela, en tout cas, ne l’exonère pas de la faute qu’il a commise pour avoir laissé germer dans son esprit une telle foucade.

A-t-il su, avant de l’avoir proférée, ce qu’était un jury d’assises, la magie sombre et exaltante de la cour d’assises, le dépassement de chacun pour être à hauteur de l’idéal de justice et de la quête de vérité ? Pour inspirer du respect à l’accusé en train d’être écouté et jugé et à la victime souvent enfermée dans une souffrance que seuls les mots et le verdict viendront apaiser ? Sans doute a-t-il malencontreusement rencontré l’unique citoyen ou les rares jurés ayant, par fragilité intime et enfouissement craintif dans l’air du temps, manifesté le désir d’être «coocoonés», les débats terminés et l’arrêt ayant été rendu ?

Une épreuve judiciaire et démocratique

L’immense majorité des citoyens appelés à être les juges, comme il est normal, des faits les plus graves dans notre hiérarchie pénale non seulement assume avec exemplarité cette épreuve judiciaire et démocratique mais considérerait, j’en suis persuadé, comme une honte d’être assistée et dorlotée après. Alors que ses forces, son intelligence, son écoute et sa sensibilité ont été, par elle seule, mobilisées pour servir la cause de la Justice qu’elle découvre et qu’elle quittera sans avoir plus jamais la certitude confortable que juger est simple, que condamner n’est pas nécessaire ou qu’acquitter est un scandale.

Faudrait-il aussi prévoir une cellule de soutien psychologique pour le président déstabilisé par un accusé qui oserait contester, pour son conseil attristé de n’avoir pas convaincu le jury, pour l’avocat général désespéré pour n’avoir pas été suivi dans ses réquisitions, pour le criminel à cause de son crime et la victime parce qu’elle l’a été ?

Etre juré d’assises est un honneur, un don démocratique, pas une maladie.

La faiblesse de notre temps

Si une telle absurdité était suivie d’effet, elle ne ferait que renforcer cette tendance qui, bien au-delà du judiciaire, nous constitue comme des handicapés de l’audace et des angoissés de l’action, nous fait craindre ce qui est susceptible de nous rehausser et n’a pour objectif que de nous éloigner en définitive de l’épopée familière et combative qu’est toute existence, même la plus réussie, pour nous engluer dans la peur avant le mouvement, dans la suspicion avant la connaissance, dans l’effroi avant les symptômes.

Je ne suis pas optimiste parce que je relève de plus en plus l’inquiétant unanimisme parlementaire, la démagogie entraînante face aux projets les plus dangereux et les plus imprudents pour l’état de droit et la Justice. La révision des condamnations pénales a été, malgré les risques de dérive qu’elle porte en elle, votée comme un seul député, avec un enthousiasme collectif qui est généralement le signe d’un défaut de lucidité, ce qui est le cas (mon billet: Réviser la révision !). Alors pourquoi pas, aux calendes pas forcément grecques, une Assemblée nationale subjuguée par l’aberration due à Yannick Favennec ?

Il est tristement paradoxal que ce déplorable ajout à la faiblesse d’aujourd’hui émane d’un parlementaire centriste alors qu’on aurait pu espérer autre chose de cette famille politique.

Le principe de précaution nous tue. La cellule de soutien psychologique nous fait mourir avant l’heure. La cellule de soutien pour celui qui aura dû endurer une cellule de soutien psychologique, c’est pour quand ?

Le ridicule ne tue plus, en effet, mais il nous étouffe. Avec, le comble, un unanimisme de bonne conscience et de ravissement.

Qui osera siffler la fin de la récréation et taper un grand coup de bon sens, de volonté et de rigueur sur la table de la République ?

Ce texte, légèrement remanié pour le blog, a déjà été publié le 27 février sur Figaro Vox. D’autres articles de Philippe Bilger sur Justice au Singulier

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