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Hillary Clinton: de first lady à première présidente?

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JOL Press : Quelle est la stratégie d’Hillary Clinton en vue de l’élection présidentielle américaine de 2016 ?

 

Thomas Snégaroff : Précisons tout d’abord qu’elle ne s’est pas déclarée candidate, même si elle semble mettre des billes de son côté pour se donner cette possibilité. Hillary Clinton n’a jamais quitté la scène politique américaine depuis 1992, date de l’arrivée au pouvoir de son mari Bill Clinton, et même depuis 1978 lorsqu’il a été élu gouverneur de l’Arkansas.

En 2008, après l’humiliation de sa défaite lors des primaires démocrates, elle avait songé à se mettre en retrait. Ses conseillers l’avaient alors prévenue : si elle envisageait un avenir présidentiel, elle ne devait surtout pas disparaître des radars médiatiques. Cela passait notamment par accepter le poste de secrétaire d’Etat proposé par Barack Obama.

Depuis qu’elle n’est plus chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton intervient régulièrement à la télévision, elle reçoit des prix, elle est constamment invitée à prononcer des discours etc. Sa stratégie est de continuer à exister médiatiquement.

A certains moments, elle a failli disparaître. Ce fut le cas en 2008 bien sûr, mais aussi en 1999, avant qu’elle ne décide de briguer le poste de sénateur de l’Etat de New York. Malgré les difficultés, elle a toujours réussi à s’accrocher et rester présente.

JOL Press : Sur qui peut-elle compter pour conquérir la Maison Blanche ?

 

Thomas Snégaroff : Elle bénéficie tout d’abord d’un important soutien de l’opinion : 82% des démocrates souhaitent que Hillary Clinton brigue à nouveau l’investiture de leur parti pour la présidentielle de 2016, selon un récent sondage pour le New York Times et CBS. De plus, 57 élus démocrates affirment qu’ils soutiendraient son éventuelle candidature à la fonction suprême, selon une enquête parue fin janvier dans The Hill.

Ses appuis ne sont pas seulement populaires et politiques, ils sont aussi économiques. Priorities USA Action, le principal «Super PAC» libéral (les «Political Action Committees» sont des organisations qui peuvent récolter des fonds illimités pour soutenir un candidat) a annoncé en janvier – soit trois ans avant l’élection ! – qu’il serait derrière Hillary Clinton si elle se présentait.

Priorities USA Action a modifié son organigramme en y faisant entrer Jim Messina, qui a codirigé la campagne d’Obama en 2012. Or, on pensait que les équipes de l’actuel président traîneraient des pieds pour soutenir Hillary Clinton – en 2008, la campagne des primaires démocrates avait été extrêmement violente. Ce soutien n’est peut-être pas sincère, mais il est bien réel.

Hillary Clinton peut aussi compter sur sa propre garde rapprochée : Huma Abedin, par exemple, est son assistante personnelle depuis de nombreuses années. D’autres personnalités la soutiennent depuis le début des années 80, lorsqu’elle est devenue Première dame de l’Arkansas. Certains supports, enfin, datent de 2008 et de sa nomination au secrétariat d’Etat.

Tous ces gens ont peur de louper le «wagon» Hillary Clinton. Encore une fois, rien ne garantit qu’elle sera candidate, et le cas échéant qu’elle gagnera l’élection, mais une chose est sûre : Hillary Clinton sera très rancunière avec ceux qui ne l’auront pas suivie dès le début. En 2008, elle avait blacklisté ceux qui ne l’avaient pas soutenue ou pas suffisamment.

JOL Press : Quels sont les principaux atouts d’Hillary Clinton pour briguer la fonction suprême ?

 

Thomas Snégaroff : Hillary Clinton est tout sauf une outsider, c’est une bête politique. Elle a plus de 30 ans de carrière derrière elle. De plus, elle jouit d’une quasi-stature de chef d’Etat dans la mesure où elle a été chef de la diplomatie américaine de janvier 2009 à février 2013.

Au sein de son parti, tout le monde a bien conscience qu’elle est la seule qui permettra aux démocrates de garder la Maison Blanche. A moins qu’un Barack Obama ne sorte du chapeau (en 2005, personne ne pariait sur le sénateur de l’Illinois).

N’oublions pas Bill Clinton, l’une des pièces maîtresses de son dispositif. Il est l’homme politique le plus populaire aux Etats-Unis, y compris chez les Républicains. En 2012, il a en partie fait basculer l’élection présidentielle en soutenant Barack Obama lors de la convention démocrate.

Bill Clinton est un véritable atout pour Hillary, d’une part pour lever des fonds, mais aussi pour parler aux Américains et jouer la carte de l’émotion, ce qui manque encore à l’ex-secrétaire d’Etat. Le passage des Clinton à la Maison Blanche est un peu considéré comme un âge d’or.

JOL Press : Qu’est-ce qui pourrait lui barrer la route de la Maison Blanche ?

 

Thomas Snégaroff : Son âge est un élément négatif. Elle aura 69 ans en 2016. En 2008, l’âge avancé du candidat républicain John McCain était au cœur des débats. Ronald Reagan avait le même âge qu’Hillary Clinton en 1980. Mais de nombreux commentateurs soutiennent que ce n’est pas pareil étant donné qu’il s’agissait d’un homme…

Ce qui m’amène à mon deuxième point : si elle est candidate, Hillary Clinton va sans aucun doute payer le fait d’être une femme. Cela interrogera sa capacité à être «Commander in Chief». Les Américains sont-ils prêts à changer leur perception du chef, qui se doit, dans l’imaginaire collectif, d’être une homme viril ? Là est toute la question.

En janvier 2008, Hillary Clinton était apparue au bord des larmes à l’issue d’une réunion électorale dans le New Hampshire. Cela lui avait coûté cher. Hillary Clinton a dénoncé le «double standard» pour les femmes en politique, qui doivent faire preuve d’empathie tout en se montrant viril. Or, si elle est forte, on dit qu’elle est froide. Et si elle pleure, on dit qu’elle est faible…

Enfin, elle est très peu appréciée des Républicains. Certains de ses adversaires sont prêts à ressasser les scandales du passé impliquant Bill Clinton (récemment qualifié de «prédateur sexuel» par le sénateur Rand Paul). L’attentat de Benghazi va lui aussi ressurgir. Si Hillary Clinton est candidate, la campagne de 2016 sera une «dirty campaign», faite de coups bas.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Thomas Snégaroff est directeur de recherche associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Spécialiste des Etats-Unis et agrégé d’histoire, il enseigne à Sciences Po Paris et en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce. Il est notamment l’auteur de L’unité réinventée – Les présidents américains face à la nation (2009), Faut-il souhaiter le déclin de l’Amérique ? (2009), L’Amérique dans la peau : quand le président fait corps avec la nation (2012), Les Etats-Unis pour les nuls (2012) et Kennedy : une vie en clair-obscur (2013).

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