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Italie: et si Venise faisait sécession?

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JOL Press : Selon certains sondages, 60% des quelque 3,8 millions de personnes en âge de voter en Vénétie seraient favorables à l’indépendance. Comment l’expliquer ?
 

Christophe Bouillaud : Je doute de la pertinence de ces enquêtes d’opinion. Les résultats des dernières élections générales italiennes, en février 2013, montrent que le poids des partis régionalistes ou autonomistes est très faible : le Parti populaire du Tyrol du Sud a obtenu 0,4% des voix (Chambre des députés) ; la Ligue du Nord, alliée de Berlusconi, a fait 4,1% (Chambre) et 4,33% (Sénat) ; le Grand Sud a recueilli 0,39% des votes (Sénat).

Par ailleurs, les électeurs qui vont prendre part à ce scrutin sont des partisans de l’indépendance de la région de Venise. Les personnes qui sont contre ce projet ne vont pas prendre la peine de participer à la consultation (baptisée Plebiscito.eu et en ligne depuis dimanche 16 mars, ndlr). Ce référendum est donc biaisé, et il ne serait pas étonnant qu’une forte majorité de votants se prononcent pour l’indépendance.

JOL Press : Pourquoi certains habitants de la Vénétie réclament-ils l’indépendance de leur région ?
 

Christophe Bouillaud : La raison est avant tout fiscale. Ils ont l’impression de devoir reverser une grande partie de leur richesse au niveau national. Les indépendantistes affirment que la région de Venise paye plus de 70 milliards d’euros d’impôts à Rome, soit 20 milliards de plus que ce qu’elle reçoit en investissements et en services.

Dans l’esprit des organisateurs, ce scrutin est justifié par ce qu’ils considèrent comme l’incapacité du gouvernement à combattre la corruption et protéger les citoyens de la récession. La Vénétie, qui fut le moteur du miracle économique des années 1990, fait face à une situation économique périlleuse. Aujourd’hui, les entrepreneurs de la région se sentent abandonnés par le pouvoir central.

De plus, les promoteurs de ce référendum jouent la carte de la nostalgie : née au Moyen Age (en 697, ndlr), la République de Venise fut une grande puissance économique et politique jusqu’à son annexion par Napoléon Bonaparte en 1797. Ils déplorent aussi que l’histoire de Venise et la langue vénitienne ne soient plus enseignées à l’école.

JOL Press : Quelles sont les autres régions italiennes dont certains habitants veulent l’indépendance ?
 

Christophe Bouillaud : La Ligue du Nord, créée en 1989, réclame l’indépendance de la Padanie, qui recouvre globalement la plaine du Pô. Mais une série de malversations financières a plombé ce parti populiste et xénophobe en 2012. Détournements de fonds publics, investissements hasardeux, transactions illicites… Suite à ces affaires de corruption, le leader de la formation, Umberto Bossi, a démissionné.

JOL Press : Le clivage économique Nord / Sud contribue-t-il à accentuer ces velléités indépendantistes ?
 

Christophe Bouillaud : Bien sûr. Ce clivage économique n’a d’ailleurs jamais été aussi fort depuis l’unification italienne (Risorgimento, ndlr), pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Depuis 1970, l’écart entre le Nord et le Sud du pays augmente de nouveau.

Le Sud se porte mal d’un point de vue économique, ce qui est principalement dû à une politique menée à l’échelle nationale : avant 1945, le développement du pays a été concentré dans le triangle industriel Turin-Gênes-Milan. Par la suite, d’autres régions se sont industrialisées (la Vénétie, la Romagne, Les Marches), mais le Sud est resté à la marge de ce développement économique.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’IEP de Grenoble et spécialiste de la vie politique italienne.

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