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Jacques Delors, à la recherche de la démocratie sociale

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Économiste, militant associatif, syndical et politique, catholique de gauche, pédagogue, veillant aux personnes et particulièrement aux plus vulnérables, Jacques Delors s’est imposé singulièrement comme « premier homme d’État européen », appelant à une Europe de chair et d’âme. L’ancien président de la Commission propose une lecture du monde sans équivalent sur la scène politique nationale. Sa vision en profondeur, son analyse prospective tranchent avec les visées court-termistes.

Extraits de Jacques Delors hier et aujourd’hui, de Nadège Chambon et Stéphanie Baz-Hatem (Desclée de Brouwer – mars 2014).

Les acquis sociaux défendus depuis cent cinquante ans se trouvent menacés par trois défis : la globalisation, l’accélération du progrès technique qui bouleverse les conditions de production et rejette les travailleurs les moins qualifiés hors du système de production et les questionnements autour de l’État providence.

La mondialisation

Face à la mondialisation, la société française et ses voisines européennes craignent un nivellement des salaires par le bas et le creusement des inégalités. C’est effectivement ce vers quoi les Européens tendent inexorablement s’ils choisissent de défendre la compétitivité des bas salaires face à celle de la main-d’œuvre des pays en développement. « Nos sociétés sont confrontées à un risque croissant de fracture sociale entre ceux qui reçoivent une bonne éducation, obtiennent des emplois de qualité, bénéficient des gains offerts par la mondialisation et ceux qui manquent de qualifications, n’ont pas d’emploi, sont exclus et luttent pour s’en sortir. C’est la cohésion de nos sociétés qui est en jeu [1]. » Pour échapper à cette fatalité, c’est le modèle social et les stratégies des firmes qu’il faut repenser.

Les mutations du travail

Il est commun de pointer les effets de la mondialisation, en revanche il est moins fréquent de signaler les bouleversements à l’intérieur des entreprises à l’origine des inégalités croissantes dans l’Europe contemporaine. Tout d’abord, l’éclatement des statuts et l’individualisation des contrats (CDD, CDI, temps partiels, intérim, etc.) opèrent un premier clivage au sein des salariés. Ensuite, le rapport du salarié à la technologie ou non dresse de nouvelles barrières entre ceux qui sont intégrés à la société de l’information et les titulaires de postes de travail traditionnels.

[image:2,s]Enfin, la tertiarisation et le chômage massif ne favorisent pas le taux de syndicalisation ; les capacités à agir collectivement et à se défendre perdent du terrain au profit des négociations bilatérales, entre salarié et employeur. Alors que le travail est devenu central, ces trois facteurs d’évolution individualisent le travail, produisent une société fragmentée et posent problème pour la mobilisation collective.

La domination du néolibéralisme

On observe un nouvel équilibre entre marché et régulation: le premier impose sa marque aux dépens de la seconde. Devant la résurgence du conflit entre capital et travail, le monde du travail subit une perte d’influence inquiétante et la ressource humaine est gâchée. L’économie semble faire un hold-up sur le politique. Pourtant, celui-ci joue un rôle incontournable pour allier croissance économique et progrès social. L’économie pénètre aussi dans l’évolution des mœurs de la société civile et de la société politique. On assiste au déclin de l’étatisme et à la réduction des marges de manœuvre de l’État-nation, alors qu’il est un agent important de l’économie en raison de ses interventions, notamment en matière de recherche, d’investissement ou de fiscalité.

La transformation du capitalisme

La globalisation des marchés financiers est spectaculaire. Or, selon l’ancien ministre de l’économie « la rationalité intérieure de ces marchés globalisés pose problème pour tous ceux qui exercent des responsabilités nationales, européennes, ou mondiales, au Fonds monétaire ou ailleurs ». Ils font partie des nouveaux acteurs nés de la mondialisation. Ils deviennent nos concurrents sur nos marchés intérieurs, ils appellent nos investissements, menacent notre niveau de vie et nos conditions de vie par l’intermédiaire des pressions à la baisse exercées sur le coût de la main-d’œuvre et de la protection sociale. L’évolution des valeurs, des modes de vie, l’éclatement fréquent des familles, engendrent également une plus grande aspiration à l’épanouissement individuel, qui prend parfois la figure d’un hédonisme ou individualisme exacerbé. Pour Jacques Delors, cela n’est pas sans poser problème à nos systèmes de prévoyance collective.

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Stéphanie Baz-Hatem, née en 1984, est responsable de la communication et des relations médias à Notre Europe-Institut Jacques Delors et conseillère presse de Jacques Delors depuis septembre 2009. Elle est l’auteur de Perles du Liban (Les 2 encres, 2013).

Nadège Chambon, née en 1981, est collaboratrice à CCI France-direction attractivité des territoires, chercheur associée à Notre Europe-Institut Jacques Delors et enseigne à l’ESIT–Sorbonne Nouvelle. Elle a travaillé aux côtés de Jacques Delors de 2009 à 2013.

[1] Jacques DELORS, « Affronter les mutations », discours au Congrès de la Confédération européenne des syndicats, « Temps nouveaux, nouveaux syndicats », Bruxelles, 5-7 février 1998.

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