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Jacques Delors, le «plus européen des Français»

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Économiste, militant associatif, syndical et politique, catholique de gauche, pédagogue, veillant aux personnes et particulièrement aux plus vulnérables, Jacques Delors s’est imposé singulièrement comme « premier homme d’État européen », appelant à une Europe de chair et d’âme. L’ancien président de la Commission propose une lecture du monde sans équivalent sur la scène politique nationale. Sa vision en profondeur, son analyse prospective tranchent avec les visées court-termistes.

Extraits de Jacques Delors hier et aujourd’hui, de Nadège Chambon et Stéphanie Baz-Hatem (Desclée de Brouwer – mars 2014).

Jacques Delors est qualifié de « père » de l’Europe car son action à la tête de la Commission s’apparente à une relance de la construction européenne succédant à une période de stagnation et de crise. Il est l’un des architectes du projet européen et revendique un attachement fort aux pères fondateurs des années 1950-1960. En effet, il donne un nouvel élan aux principes qui inspiraient l’action initiale, comme la solidarité et la coopération. Toutefois, il se démarque de ces visionnaires par sa volonté d’impliquer davantage les citoyens que par le passé.

Un militant européen émancipé de ses pères

La fréquence de ses références aux fondateurs – Schuman, Monnet, De Gaasperi, Spaak… – ne peut mettre en doute sa fidélité aux pères de l’Europe. Attaché à faire « fructifier l’héritage » durant sa présidence, il le fait sans idéaliser le passé. Sa volonté de mieux impliquer les citoyens dans la construction de l’Europe l’amène à prendre une relative distance avec la méthode passée. La question européenne longtemps limitée à des cercles restreints, s’est construite dans le manque d’information des citoyens affirme-t-il. Or, pour lui la légitimité de l’UE passe par la compréhension de son fonctionnement et par l’acceptation de ses finalités par les peuples. À partir des années précédant son mandat – avec l’élection au suffrage universel direct des parlementaires européens à partir de 1979 – s’opère un rapprochement entre l’Europe et les citoyens, qui se poursuit constamment après son départ.

[image:2,s]Toutefois, la fin des années 1990 l’inquiète car si l’UE offre une transparence qu’aucun gouvernement national n’offre à ses citoyens (exception faite du Conseil européen), la juxtaposition de structures et la complexité croissante des procédures empêchent de comprendre qui décide en son sein. De plus avec l’extension confuse des prérogatives de l’UE, les citoyens peuvent avoir le sentiment que l’UE se préoccupe de ce qui ne la regarde pas. Pour lui, les causes de cette dérive prennent racine dans la méthode dite « de l’engrenage » adoptée par les Pères fondateurs, qui consiste à lancer par un processus d’intégration sectoriel (par exemple, le charbon et l’acier) une dynamique d’intégration plus vaste et politique. Cette méthode a pour inconvénient de ne plus afficher explicitement, une fois le processus sectoriel enclenché, quelles compétences seront ultimement exercées au niveau supranational et celles qui demeureront de la compétence des États. Il ne s’agit pas pour lui de rejeter la méthode de l’engrenage économique, la seule réaliste et politiquement acceptable – lui aussi a dû s’y résoudre pour faire avancer l’intégration – mais de reconnaître ses insuffisances. « L’Europe politique, qui était l’objectif initial, a échoué trois fois avec le rejet de la Communauté européenne de défense, de la fédération européenne et du plan Fouchet. L’Europe s’est donc rabattue sur l’économie tout en gardant des institutions difficiles à comprendre. »

L’exigence démocratique, l’implication des citoyens

Jacques Delors se distancie des fondateurs ayant laissé trop longtemps le projet européen éloigné des citoyens – le contexte d’après-Guerre était largement hostile à l’idée d’intégration –, il ne cède pour autant rien aux anti-Européens et aux démagogues qui taxent l’UE de projet antidémocratique. « La dénonciation du déficit démocratique est aujourd’hui devenue un des passages obligés du débat européen. Et il est vrai que l’Union est loin, trop loin, de ses citoyens. Il est évident que nous pouvons et devons faire mieux en termes de transparence et de lisibilité. »

S’opposant à la réécriture du passé, il rappelle la réalité historique : « Il est évident que le projet européen a été, dès ses origines, et reste toujours aujourd’hui, intimement lié à l’idéal démocratique. Puisant ses racines spirituelles dans la résistance à tous les totalitarismes, il n’a cessé de renforcer sa vocation à promouvoir la démocratie et le respect de la règle de droit. »

Pour Jacques Delors, les institutions communautaires sont insuffisantes et il est impératif de renforcer l’implication des citoyens pour bâtir une union de nature politique qui dépasse le grand marché. Cette conception exigeante du projet européen visant à créer une démocratie européenne lui a d’ailleurs valu le fruste « Up yours Delors » des tabloïds britanniques en 1990.

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Stéphanie Baz-Hatem, née en 1984, est responsable de la communication et des relations médias à Notre Europe-Institut Jacques Delors et conseillère presse de Jacques Delors depuis septembre 2009. Elle est l’auteur de Perles du Liban (Les 2 encres, 2013).

Nadège Chambon, née en 1981, est collaboratrice à CCI France-direction attractivité des territoires, chercheur associée à Notre Europe-Institut Jacques Delors et enseigne à l’ESIT–Sorbonne Nouvelle. Elle a travaillé aux côtés de Jacques Delors de 2009 à 2013.

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