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Juncker, un homme qui a la culture des chefs d’Etat et de gouvernement

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Jean-Claude Juncker sera le candidat de la droite européenne à la succession de José Manuel Barroso, à la tête de la Commission européenne. À l’issue du vote qui a clôturé le congrès du PPE à Dublin, l’ancien premier ministre du Luxembourg a recueilli 382 voix, contre 245 pour son adversaire Michel Barnier, le commissaire européen au marché intérieur. Cette désignation intervient trois mois après qu’il ait été évincé du pouvoir au Luxembourg où il a passé près de 19 ans au poste de Premier ministre. Sera-t-il à même d’affronter le candidat du Parti socialiste européen, le social-démocrate Martin Schulz ? Eléments de réponse avec Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po, spécialiste des questions européennes.

JOL Press : Jean-Claude Juncker sera le candidat de la droite pour diriger l’Europe. Une surprise ?
 

Sylvain Kahn : Dans la mesure où un processus électoral avait été engagé au sein du Parti populaire européen (PPE) et que deux candidats s’était présentés, l’élection de Jean-Claude Juncker n’est pas une surprise. Qu’il ait gagné contre Michel Barnier n’est pas non plus une surprise. En revanche, qu’il soit revenu dans le jeu est un peu plus surprenant car on avait l’impression qu’il avait été affaibli par les raisons qui l’avait poussé à quitter la tête de son parti et du gouvernement en juillet 2013, à la suite d’un scandale concernant les services de renseignement.

C’est, en effet, assez surprenant que le groupe parlementaire PPE élise comme chef de file – il n’a pas eu la majorité absolue des délégués mais la majorité absolue des votants – quelqu’un qui a été en difficulté dans son propre pays.

JOL Press : En quelques mots, pouvez-vous revenir sur son parcours ?
 

Sylvain Kahn : Jean-Claude Juncker est l’un des derniers, voire le dernier, des hommes politiques européens qui étaient partie prenante lors des négociations du traité de Maastricht (il était alors ministre des Finances). Il a été membre du gouvernement luxembourgeois de 1989 à 2013 : ministre des Finances et ministre du Travail puis Premier ministre de 1995 à 2013. Il a été, par ailleurs, membre du Conseil européen des chefs d’États et de gouvernements de janvier 1995 à novembre 2013. Enfin, il a été le premier et le seul président de l’Eurogroupe (réunion des ministres des Finances des États membres de la zone euro) de 2005 et 2013.

C’est un homme du sérail qui n’est cependant jamais passé par la Commission européenne mais qui est très présent dans la vie politique de l’Union européenne et inscrit dans cette tradition d’hommes d’Etat luxembourgeois impliqués dans les affaires communautaires. Certes, il connaît très bien l’Union européenne de l’intérieur, mais il a soutenu contre vents et marées la politique luxembourgeoise du secret bancaire et s’est opposé autant qu’il le pouvait à une politique européenne rigoureuse contre les paradis fiscaux.

Il est clair que le vote du Parti populaire européen semble sage mais le choix de Jean-Claude Juncker n’apparaît pas comme un renouvellement des générations. Si Michel Barnier n’incarne pas davantage le changement, il cherchait quand même davantage à domestiquer la finance que son adversaire.

JOL Press : Faut-il voir, dans ce vote, une victoire d’Angela Merkel ?
 

Sylvain Kahn : On dit que Jean-Claude Juncker était, en effet, le candidat d’Angela Merkel, je crois qu’il est avant tout un homme politique qui a la culture des chefs d’Etats et de gouvernements, il a la culture du Conseil, et, de ce point de vue-là, on peut supposer qu’il est beaucoup plus compatible avec des personnalités politiques comme Angela Merkel que l’est Michel Barnier qui, lui, s’est clairement positionné, lors de sa campagne, comme étant un homme de l’intérêt général européen, un homme du communautaire, un homme de la Commission.

De la même manière que José Manuel Barroso avait été le candidat des chefs d’Etats et de gouvernements, lors des deux désignations précédentes, Jean-Claude Juncker appartient à ce sérail. Il appartient aux yeux des chefs d’Etats et de gouvernements comme quelqu’un de compétant, comme un homme de conviction, mais, comme José Manuel Barroso, il n’a jamais donné l’impression qu’il était prêt à tordre le bras des Etats pour faire avancer la cause européenne.

JOL Press : Qu’attend-on d’un patron de la Commission européenne ?
 

Sylvain Kahn : On peut attendre d’un président de la Commission européenne qu’il fasse un certain nombre de propositions, qu’il dégage une vision à la fois du fonctionnement de la construction européenne et de ce qu’elle devrait être, que les chefs d’Etas et de gouvernements ont du mal à dégager à cause des contraintes de leur politique nationale. On peut aussi attendre d’un président de la Commission européenne qu’il donne une impulsion à ses 30 000 fonctionnaires et qu’il puise dans les ressources de la Commission européenne ce qu’il y a de meilleur et de plus professionnel pour essayer d’indiquer à l’ensemble des Européens une orientation.

Si on regarde quel est le sens et la mission de la Commission européenne, on constate que le rôle de son président n’est pas uniquement de trouver des compromis entre les Etats mais de travailler à faire avancer au mieux ce bateau de 28 pays et de 500 millions d’habitants. Le président de la Commission doit faire des propositions en termes de politiques publiques et ne pas être seulement le gardien scrupuleux des traités. Il doit faire de la politique, ce que n’a pas fait José Manuel Barroso, par exemple. Jean-Claude Juncker le fera-t-il s’il est désigné ? On sait qu’il est rigoureux et fédéraliste, mais cela suffira-t-il ?

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Sylvain Kahn est professeur agrégé à Sciences Po, où il enseigne les questions européennes et l’espace mondial. Il est l’auteur d’une Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945 (PUF – 2011).

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