L’Ukraine a demandé mercredi 26 février «un mandat d’arrêt international» contre le président déchu Viktor Ianoukovitch, poursuivi dans son pays pour «meurtres en masse», a indiqué le procureur général par intérim Oleg Makhnitski. L’occasion de s’intéresser à cette procédure juridique bien particulière.
[image:1,l]
JOL Press : Comment sont émis les mandats d’arrêt internationaux?
Muriel Ubéda-Saillard : Les mandats d’arrêt internationaux sont délivrés par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), à la demande des juridictions nationales ou internationales, comme la Cour pénale internationale (CPI), ou des Nations Unies, à l’encontre de personnes recherchées, généralement accusées d’infractions pénales graves et présentant un caractère transnational.
Ces mandats correspondent à des «notices rouges», qui recensent les éléments d’information sur l’individu recherché et permettent ainsi aux Etats membres d’Interpol de procéder à son arrestation. Il existe d’ailleurs d’autres types de notices : bleues pour recueillir des informations complémentaires, jaunes pour aider à retrouver des personnes disparues, noires en vue de l’identification des cadavres etc.
JOL Press : Sous quelles conditions émet-on un mandat d’arrêt international?
Muriel Ubéda-Saillard : Les notices rouges visent tout particulièrement les personnes susceptibles de voyager et de s’enfuir vers d’autres Etats, notamment ceux qui ne pratiquent pas l’extradition. C’est tout l’intérêt du mandat d’arrêt international par rapport au mandat d’arrêt national que de permettre à toutes les polices, nationales comme étrangères, de procéder à l’arrestation des individus recherchés. Cette arrestation est souvent indispensable à des poursuites effectives, car bon nombre de juridictions, notamment la CPI, ne juge pas par contumace.
Un mandat d’arrêt international permet aussi de fragiliser la situation personnelle de l’accusé, en l’empêchant de voyager et d’exercer ses fonctions officielles. C’était notamment le cas pour Slobodan Milosevic, ancien président de la République fédérative de Yougoslavie, frappé par un mandat d’arrêt émis par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie.
Omar el-Béchir, le président soudanais en exercice, accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, fait également l’objet de deux mandats d’arrêt délivrés contre lui en mars 2009 et juillet 2010 par la CPI, avec l’idée de le dissuader de se rendre dans les 122 Etats parties au Statut de Rome.
JOL Press : Concrètement, que faut-il avoir fait pour être visé par un mandat d’arrêt international?
Muriel Ubéda-Saillard : La CPI peut émettre un mandat d’arrêt contre toute personne suspectée d’avoir commis un génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes d’agression.
Toutefois, d’autres crimes peuvent être visés dans des mandats d’arrêt internationaux et donner lieu à une coopération policière par le biais d’Interpol, dès lors qu’il s’agit de crimes de droit pénal international, qui présentent une dimension transnationale : le terrorisme, la criminalité organisée, la piraterie maritime, le trafic de stupéfiants, etc.
En résumé, la définition utilisée pour émettre un mandat d’arrêt international repose sur l’étendue de la coopération que les Etats membres d’Interpol ont consentie et renvoie à un faisceau d’indices tels que la dangerosité présumée de la personne, la gravité présumée de ses infractions pour l’ordre public national et international, etc.
JOL Press : Que se passe-t-il lorsque qu’un mandat d’arrêt intenational est émis?
Dans le cas de l’ex-président ukrainien Ianoukovitch, la Russie, qui est membre d’Interpol, serait obligée d’exécuter le mandat d’arrêt international. Toutefois, la Russie n’est un Etat partie au Statut de Rome de la CPI et il est peu probable qu’elle déciderait de le transférer à la Cour, dans l’hypothèse où celle-ci se déclarerait compétente pour connaître des crimes allégués.
JOL Press : Les mandats d’arrêt internationaux ont-ils prouvé leur eficacité?
Muriel Ubéda-Saillard : Les Etats et les juridictions pénales internationales utilisent beaucoup ce système, car c’est un système qui fonctionne bien à quelques exceptions près. Pour qu’il soit exécuté, le mandat d’arrêt international doit pouvoir reposer sur des forces de police actives. C’est primordial.
Par exemple, lors de leur intervention en ex-Yougoslavie, les forces de l’OTAN ont eu du mal à arrêter les personnes visées par des mandats d’arrêt internationaux. La région était encore trop troublée pour que cela se traduise par une réelle efficacité sur le terrain.
Néanmoins, dans le cadre d’une coopération policière «classique», le système fonctionne très bien.
Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press
——————————–
Muriel Ubéda-Saillard est docteur en droit et maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense.