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«La classe politique et les médias n’ont pas voulu voir la réalité»

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A l’issue de ce premier tour, la droite arrive en tête avec 46,54% des voix, devant la gauche à 37,74%, l’extrême droite à 4,65% et l’extrême gauche 0,58%, selon les chiffres données en fin de soirée par le ministère de l’Intérieur. Quels enseignements tirer de ce 1er tour ? De tels résultats étaient-ils prévisibles ? Eléments de réponses avec le journaliste et écrivain André Bercoff. Entretien.

JOL Press : Quels sont les principaux enseignements de cette élection ?

André Bercoff : Ce qui m’a le plus marqué, c’est le retour à ce que Prévert appelait « les terrifiants pépins de la réalité ». Nous avons assisté à quelque chose d’hallucinant du point de vue du déni. On ne veut pas voir les problèmes qui agitent vraiment le pays et on se contente d’enfumer. Si on revient un instant sur l’étonnant épisode des affaires, sorties quelques semaines à peine avant les élections, on a eu l’affaire Copé et les problèmes de trésorerie du parti, les écoutes de Patrick Buisson ou encore les écoutes de Nicolas Sarkozy et de son avocat parues dans la presse, on se dit alors que la droite est au plus bas, que François Hollande est très impopulaire, et pendant ce temps, on met de côté ce qui « travaille » vraiment la France. Il n’est pas étonnant que lorsque les vrais électeurs vont voter dans les vraies urnes, on constate l’échec des analyses des instituts de sondages et autre prévisionnistes, sans parler d’autres ineffables experts.

Après on peut entrer dans le détail : on a parlé des catholiques choqués par les débats autour du Mariage pour tous, mais on ne s’est pas interrogé sur la réaction des musulmans face à ces questions. Les électeurs musulmans qui ont voté – on le sait – massivement pour François Hollande se sont-ils déplacés une nouvelle fois ce dimanche ? A Roubaix, où il y a une présence musulmane assez importante, le taux d’abstention a atteint les 61,58%. Ce n’est pas un hasard. On peut s’interroger sur les effets de la stratégie d’un gouvernement qui tient un discours positif vis-à-vis de l’immigration et qui, dans un même temps, entretient de bonnes relations avec les lobbies LGBT ou paraît conciliant avec les Femen. 

On sait, par ailleurs, qu’il y a en France, et pas seulement dans les banlieues, une vraie pauvreté, des régions qu’on a laissées en déshérence. Et on viendrait s’étonner après que le Front national soit présent dans 229 triangulaires ?

JOL Press : Justement Marine Le Pen a-t-elle des raisons de se réjouir ? « On va continuer à travailler sur le terrain et faire exploser ce vieux bipartisme qui n’existe plus entre l’UMP et le PS », a déclaré Florian Philippot, vice-président du FN.

André Bercoff : Le Front national a intérêt à défendre sa marque et à répandre ses parts de marché mais je crois que c’est l’enracinement du FN dans divers coins de France qui est aujourd’hui acté et incontestable. Ce qui est intéressant à étudier c’est la ligne de fracture qui divise le peuple de droite. Une grosse partie de la droite est en harmonie, avec le FN, sur les questions sociétales ; la ligne de partage se situe sur les questions économiques, sur l’Europe, l’euro, le libéralisme, thèmes sur lesquels Marine Le Pen est en rupture avec les idées de son père. Cette ligne de partage permet à Jean-François Copé et à l’UMP de se démarquer très franchement du FN.

Cette élection va plus loin que la fin du bipartisme en France. Nous sommes à l’heure « où le vieux n’est pas encore mort et où le jeune n’est pas encore né ». Une phase de transition dans laquelle droite et gauche doivent se recomposer. La gauche a le même problème, elle est en train de se redéfinir comme sociale-démocrate mais n’est pas suivie, loin s’en faut, par tout le peuple de gauche. On assiste à un déplacement des plaques tectoniques dont on ignore encore les conséquences.

JOL Press : Si on se concentre un peu plus sur la ville de Paris ou NKM est arrivée en tête du 1er tour et sur Marseille ou la liste de Patrick Mennucci a été devancée par celle du Front national, quels enseignements peut-on en tirer ?

André Bercoff : On peut s’interroger une bonne fois pour toutes sur la pertinence des sondages.  Je ne dis pas que ces consultations n’ont pas le droit d’exister mais quel est leur intérêt ? Qui donnait NKM en tête à Paris ? Même si la victoire est loin de lui être acquise, pour le 2nd tour, à cause du mode de scrutin par arrondissement, pas un seul sondage ne la donnait en tête au 1er tour. Qui donnait Steeve Briois, maire dès le 1er tour à Hénin-Beaumont ? A Marseille, c’est tout à fait fascinant à analyser : on a parlé de 21 avril marseillais, toute comparaison n’est pas raison, mais que Patrick Mennucci arrive après Stéphane Ravier (FN) en dit long sur le déni dont fait preuve la classe politico-médiatque. On ne veut pas voir la réalité, encore une fois.

Même constat avec Gérard Collomb (PS) à Lyon. Certes, il se place en tête dans les IIIe, IVe, Ve, VIIe, VIIIe et IXe mais il ne remporte aucun arrondissement au 1er tour. En 2008, il avait raflé six arrondissements sur neuf dès le 1er tour. Ce petit tour d’horizon illustre bien ce que je disais plus tôt sur ce déni du réel.

JOL Press : Face à cette situation, comment François Hollande peut-il rebondir ?

André Bercoff : Ses conseillers auraient dit : « Hollande va enjamber le scrutin ». Il faudrait juste qu’il fasse attention à ce que ce ne soit pas le scrutin qui l’enjambe. Rebondir c’est une chose, mais tant qu’il sera dans le déni, tant qu’il ne mesurera pas les difficultés, tant qu’il ne sera pas cohérent dans sa politique, il aura beau remanier son gouvernement, rien n’aura avancé.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

André Bercoff est écrivain, journaliste et homme de télévision. Depuis son livre, L’Autre France, en 1975, il est l’auteur d’une trentaine de romans et d’essais, dont Qui choisir (2012 – First éditions), Moi, Président… (2013 – First éditions) ou Je suis venu te dire que je m’en vais (novembre 2013 – Éditions Michalon).

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