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«La Cour de Babel»: immersion dans une classe d’adolescents immigrés

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JOL Press : Vous avez passé une année scolaire dans une classe d’accueil dans un collège ZEP du 10e arrondissement de Paris pour votre documentaire.  Comment est née cette idée ?
 

Julie Bertuccelli : J’ai  toujours été très préoccupée et mobilisée sur la question des étrangers. L’idée de ce projet documentaire vient du hasard d’une rencontre : j’étais présidente d’un festival de film scolaire, lorsque Brigitte Cervoni [la professeure dans le documentaire] est arrivée sur la scène avec sa classe d’accueil : 15 élèves originaires des quatre coins du monde. J’ai été bouleversée de savoir qu’un dispositif pareil existait. En voyant ces adolescents, avec toutes ces cultures différentes, j’ai eu envie d’aller passer une année scolaire en immersion dans une classe afin de voir comment cela se passait, comprendre les interactions et les conflits qui s’y déroulent. C’est un lieu extraordinaire pour parler du monde d’aujourd’hui et montrer qu’il est possible et enrichissant de vivre ensemble malgré nos différences. 

JOL Press : Pourquoi ce choix du huis clos dans la salle de classe et dans le collège ?
 

Julie Bertuccelli : Je voulais vraiment faire un portrait du groupe et montrer ce que cela signifiait de vivre ensemble, plutôt que de me focaliser sur le hors champs de leurs vies, avec leurs parent.  Dans mes documentaires, j’impose une certaine limite dans l’intimité. Je préfère voir les gens dans leur situation de travail, sorte de lieu de représentation que je trouve plus intéressant. Ce huis clos se construit autour d’une professeure, Brigitte Cervoni, une personne forte et réconfortante qui entretient un rapport vraiment intense avec eux.  Le huis clos permet de donner une idée du microcosme de ce monde : d’une utopie où les uns et les autres s’écoutent parler, partagent leurs  histoires. 

JOL Press : Qu’est-ce que ces adolescents attendent de la France ? Ont-ils une vision utopique de l’Hexagone ?
 

Julie Bertuccelli : Leurs attentes et leur vision de la France ne sont pas totalement utopiques quand on sait d’où ils viennent. En France, ils ont plus de chances de bénéficier de meilleures conditions de vie, de femmes : de ne pas être contraint à un mariage forcé ou d’être victime d’excision. Il y a beaucoup d’histoires et de trajectoires différentes dans cette classe, mais  s’ils sont venus en France, c’est sûrement parce que les parents ont estimé que c’était mieux pour eux.

Il n’y a rien d’angélique dans l’image qu’ils ont de la France : ce n’est pas facile pour eux d’arriver, d’être confronté au regard des autres. C’est le rôle de la professeure de les préparer à ce moment de transition pour leur donner la force d’affronter les difficultés qui les attendent, comme dans tout pays.

JOL Press : Comment avez-vous travaillé avec les jeunes pour qu’ils acceptent et s’habituent à la présence de la caméra ?
 

Julie Bertuccelli : Au début du tournage, et après avoir défini avec l’enseignante les jours où je pouvais venir filmer – au moins deux fois par semaine pendant toute l’année scolaire -, je me suis présentée aux élèves et je leur ai expliqué le projet. J’ai insisté sur le fait que je n’allais pas les déranger, ni changer le cours de leurs études: j’allais être là en observateur, mais pas non plus cachée. Au début, ils ont été un peu gênés et regardaient régulièrement vers la caméra, mais ils se sont vite habitués. Nous étions une petite équipe technique, sans ajout de lumière, et nous avons donc rapidement pu instauré une relation: je faisais partie de la vie de la classe.

JOL Press : Pendant cette année scolaire, qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez ces jeunes ?
 

Julie Bertuccelli : Le tournage a duré toute l’année scolaire. Le temps du documentaire était très précieux, et nous a permis d’aller loin dans la complexité, dans l’accompagnement. Ce qui est beau c’est de les voir à ces âges-là s’épanouir, les observer éclorent. J’ai été marqué par leur courage, leur détermination : ils sont souvent chargés de famille, traduisent pour leurs parents qui ne parlent pas français, sont ballotés entre les oncles, tuteurs, parents…Une lourde responsabilité pèse sur leurs épaules. Malgré toutes ces difficultés, ils sont pleins de vigueur, d’énergie, d’enthousiasme et d’ambition. Ils sont confrontés à différentes cultures et plusieurs points de vue. C’est très riche d’être dans cette diversité-là, et cela devrait l’être pour tout le monde d’ailleurs.

JOL Press : « La diversité est une force » : tel est le message que vous voulez faire passer dans votre documentaire alors que la question de l’immigration est au cœur de l’actualité française et européenne ?
 

Julie Bertuccelli : Evidemment. Il n’y a pas un message didactique clairement exprimé dans le film, mais j’espère que les gens réaliseront que la diversité est une force et une richesse. Ces jeunes nous apportent énormément : ils ont beaucoup de leçons à nous donner. Ils s’enrichissent les uns entre les autres mais nous enrichissent également. J’espère que ce documentaire ce climat nauséabond sur l’immigration, cette dramatisation aussi. Les gens peuvent très bien s’intégrer, cela dépend plutôt de la manière dont nous les accueillons. C’est une question que nous devons nous poser : si cela ne marche pas, c’est plutôt parce que nous les accueillons mal. On est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre : nous devrions peut-être nous mettre à leur place, si un jour nous sommes amenés à partir pour divers raisons. 

« La Cour de Babel », un documentaire de Julie Bertuccelli dans les salles à partir de mercredi 12 mars : 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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