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«La Grèce: simple passage vers la France ou la Grande Bretagne»

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JOL Press : Quelles sont les conditions des réfugiés clandestins en Grèce ? Ont-ils accès aux soins médicaux, aux avocats et aux interprètes ?
 

Joëlle Dalègre : Tant qu’ils ne sont pas dans l’un des centres d’accueil surpeuplés, de part l’Etat, ils n’ont rien, en revanche il existe des associations à Athènes, Salonique, et Patras qui fournissent ce qu’il faut mais il faut les connaître, y compris médecins du monde à Athènes.

JOL Press : Doivent-ils faire face à une violente répression policière ?
 

Joëlle Dalègre : La police grecque les maltraite, aucun doute, d’autant plus que les statistiques montrent qu’ils sont plus souvent délinquants que les citoyens grecs, cela donne de bons prétextes ; n’oubliez que la police votait Aube Dorée, que souvent elle tardait à agir pour laisser les milices Aube Dorée agir, et que celles-ci n’hésitaient pas à tabasser sans aucune distinction des étrangers couchant par terre dans la rue. D’un autre côté existent les associations d’entraide, Aube Dorée tapait aussi sur des Grecs qui venaient en aide à ces mêmes étrangers, donc ils existent, ce qui veut dire que l’opinion est très divisée entre milieux intellectuels de gauche et les autres.

Les journaux se sont faits l’écho aussi dernièrement de  villages où on avait accueilli « gentiment » des familles de clandestins avec femmes et enfants arrivés récemment, à Pylos ou à Astypalaia où on a trouvé de quoi les installer, les vêtir. Mais une chose est l’accueil dans un village d’une famille qu’on a sous les yeux et la réaction globale de masse, abstraite, face à des inconnus qu’on vous décrit comme des voleurs ou violeurs. Comme en Suisse, Aube Dorée a eu des voix dans des zones rurales où il n’y a aucun étranger hormis des Albanais travailleurs agricoles qu’on est ravi de voir.

Il faut dire aussi que la Grèce des années 70 et 80 était un pays où tout le monde laissait fenêtres et portes ouvertes, l’arrivée subite, l’explosion de la délinquance a traumatisé tout le monde, les gens ne cessent de vous donner des conseils : «  fais attention ,ferme, ne porte pas de bijoux, va au parking etc »…

JOL Press : Comment les clandestins sont-ils perçus par les Grecs ?
 

Joëlle Dalègre :  Si vous enlevez les racistes purs d’Aube Dorée, comme de pauvres malheureux qu’on plaint mais à qui ont dit : nous, on n’a plus rien, 28% de taux de chômage, un smig à 450 euros souvent pas respecté par les employeurs, ¼ travailleur sans sécu, les chômeurs n’ont plus la sécu au bout de quelques mois, 1/3 des foyers ont des dettes/ électricité, impôt, banques, immeubles sans chauffage, revenu moyen en baisse d’un tiers en un an, alors allez voir ailleurs !

En même temps tout le monde sait que depuis environ 1995 les morts sont supérieures en nombre aux naissances en Grèce, et que si la population a augmenté et que les écoles restent ouvertes c’est grâce à l’immigration.

Quant à la question du racisme : oui, en plus ils sont musulmans et le Grec a toujours été élevé dans l’idée qu’il est un descendant de Périclès, un être un peu à part… ça laisse un fond exploitable en temps de crise. L’étranger est plus ou moins bien vu selon son origine, sa religion et sa couleur.

JOL Press : Pourquoi le système d’asile grec est-il si dysfonctionnel ?
 

Joëlle Dalègre : Parce qu’aussi ce n’est le souci premier de personne, mais surtout parce que tout dysfonctionne aujourd’hui en Grèce… L’ancien système ne fonctionnait pas bien, mais aujourd’hui à coups de réformes et de contre-réformes et de réforme de la réforme quasi quotidiennes, plus rien ne fonctionne normalement !

JOL Press : Des reportages et notamment le documentaire « L’Escale » laissent découvrir des migrants iraniens qui se cousent la bouche. Est-ce leur dernier espoir pour se faire entendre par les autorités et pour obtenir le droit d’asile ? Quelles sont les autres mesures extrêmes auxquelles ils ont recours ?
 

Joëlle Dalègre : La Grèce est le pays le plus sévère concernant le droit d’asile, avec l’Italie. Ces mesures sont effet le dernier espoir pour eux pour se faire voir des médias européens, avec des pancartes en anglais..

Mais il  y a beaucoup d’hypocrisie là-dedans car l’UE est ravie de laisser les gens du sud se débrouiller et faire le sale boulot !  la Grèce compte actuellement un bon million d’étrangers légaux plus au moins 0,5 million – un million il y a 2 ans, mais le chiffre baisse –  non déclaré, pour 11 millions d’hbts.

JOL Press : Comment les autorités dissuadent-elles  les entrées sur le territoire grec ?
 

Joëlle Alègre : Je pense que quelque part, la Grèce pense qu’un mauvais accueil et ne pas accorder de droit d’asile fait partie des moyens de dissuasion… Elle entretient des patrouilles qui surveillent les côtes mais 15 000 km de côtes, c’est quasi-impossible. Quant au mur sur l’Evros, c’est l’Europe qui l’a demandé et financé, ce qui a pour résultat de déplacer le problème : passer par la mer à nouveau ou par la Turquie- Bulgarie.

Quant au mauvais accueil, certains vous diront qu’il y a maintenant des Grecs qui couchent dehors, n’ont plus de sécurité ni de chauffage. Ils se rendent aux soupes populaires, alors pourquoi pas les non-Grecs ?

C’était la logique poussée à l’extrême par Aube Dorée qui ne donnait des provisions qu’aux Grecs de nationalité, cette discrimination est officiellement interdite mais je me demande ce que font les gens qui sont dans la queue si un afghan vient s’intercaler.

JOL Press: Quelle vision les migrants ont-ils de l’Europe avant de venir ?
 

Jolëlle Alègre : Les migrants venus de l’ex-URSS dans les années 90 étaient souvent déçus car, d’origine grecque en partie, ils attendaient un accueil formidable et fraternel d’un pays que leur entourage dépeignait comme la cocagne. L’Europe, pour eux, c’était Paris, Londres et les feuilletons allemands sur le bord du lac de Constance. J’ai vu en 90 un village d’accueil en Thrace où on affichait partout des cartes d’Europe avec un rond pour situer la Thrace qui ne ressemblait pas à leur rêve d’Europe, pas plus que la Creuse !

Quant à ceux qui venaient d’Albanie-Bulgarie-Roumanie, même s’ils avaient souhaité des conditions meilleures, ont continué à croire au miracle: même avec des salaires très faibles pour la Grèce, ils pouvaient nourrir toute la famille au pays. J’ai connu une professuer de français de l’universioté de Kiev qui, en gardant les enfants l’été en Grèce, gagnait plus que tout le reste de l’année à Kiev.

JOL Press: Une fois arrivés sur le territoire grec, est-ce la désillusion ?
 

Jolëlle Alègre : Ceux qui viennent aujourd’hui de ces pays savent à quoi s’en tenir, la désillusion, c’est quand après 20 ans de travail, après avoir mis leurs enfants à l’école, construit une maison, s’être intégrés, ils se retrouvent au chômage et pour certains doivent repartir.

La dernière génération, ceux d’aujourd’hui – Afghans, Syriens, Pakistanais- ignorent tout et ne voient dans la Grèce qu’un passage vers France ou la Grande Bretagne, donc la question de la déception est relative, ils ne rêvaient pas de Grèce. Il n’y a qu’à les voir s’entasser derrière les grillages du port de Patras ou dans la forêt qui entoure Igoumenitsa.

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