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La Russie privée de G8, un signe de la faiblesse des démocraties?

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JOL Press : Le G8 a annoncé cette semaine l’annulation du sommet prévu en juin à Sotchi, nouvelle vitrine de la Russie. La réunion aura ainsi lieu à Bruxelles avec les membres du G7, excluant, de fait, la Russie d’un cercle qu’elle avait rejoint dans les années 1990. Que change cette éviction programmée pour la Russie ?
 

Philippe Moreau Defarges : La Russie a toujours occupé un strapontin, parce qu’elle n’avait pas de raisons d’être dans cette enceinte. Le G7 était la réunion des démocraties les plus riches et les plus « importantes ». Le G8 était en réalité un G7 augmenté de la Russie.

Le changement est surtout symbolique. Il signifie juste que la Russie faisait partie d’un club dont elle est aujourd’hui suspendue. Cela dit, ça ne changera rien à la politique russe. Cette éviction est également ennuyeuse d’un point de vue économique : la mise à l’écart de ce club induit que Moscou ne respecte pas certaines règles. C’est donc handicapant pour son image, notamment auprès de partenaires commerciaux.

JOL Press : Cette décision marque-t-elle un tournant dans les relations diplomatiques de la Russie envers les pays d’ « Occident » ?
 

Philippe Moreau Defarges : Non, il est trop tôt pour dire que c’est un tournant. Le vrai tournant est simplement l’annexion de la Crimée, par laquelle la Russie a montré un comportement brutal vis-à-vis du droit international.

En outre le G7/G8 n’est pas une structure juridique, mais un club informel. Nul besoin, donc, de faire acte de candidature pour y entrer.

JOL Press : La Russie peut-elle néanmoins continuer à avoir de bonnes relations diplomatiques avec les membres du G7 ?
 

Philippe Moreau Defarges : Certainement, pour la simple raison que pour le moment, personne ne souhaite rompre le dialogue avec la Russie. Tous cherchent une issue pacifique à la crise russo-ukrainienne.

A l’inverse, ça ne change rien pour le G7. Il était déjà une structure moribonde. Son existence était bâtie sur l’évocation des problèmes économiques internationaux. La mise à l’écart de la Russie est même une bonne chose pour le G7, en ce qu’il retrouve sa raison d’être, à savoir la réunion des démocraties industrielles occidentales. La présence de la Russie était une aberration.

JOL Press : Mise à l’écart du G7, la Russie peut-elle craindre de l’être aussi du G20 ?

Philippe Moreau Defarges : C’est assez improbable, le G20 étant une structure encore plus molle que le G7. La Chine, l’Inde, le Mexique, le Brésil ou l’Arabie Saoudite en font partie. Comme beaucoup de grands pays de l’hémisphère Sud. Certains d’entre eux n’ont pas les problèmes des pays européens avec la Russie, et souhaitent garder celle-ci comme partenaire au sein du G20. Enfin, compte tenu du comportement actuel de la Russie, mieux vaut parler avec Moscou que rompre les contacts.

Par ailleurs, si la Russie s’éloigne du G20, elle se tire une balle dans le pied. Voulant jouer un rôle dans l’économie mondiale, elle se doit de figurer dans les institutions correspondantes. Elle se couperait de la structure de la gouvernance économique mondiale, et serait perdante sur toute la ligne.

JOL Press : La Russie est-elle le premier pays membre du G7/G8 à subir une telle mise à l’écart ? Cette décision n’est-elle pas d’ailleurs une sanction cache-misère, faute de mieux ?
 

Philippe Moreau Defarges : Il n’existe effectivement pas de précédent. Le G7 était une structure très homogène, comprenant l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon. La Russie est venue s’ajouter pardessus ce groupement.

Je ne crois pas que cette sanction soit un cache-misère, en ce qu’elle est justifiée : quand quelqu’un se conduit mal, on est obligé de lui dire « Ne viens plus aux réunions ». En revanche, elle doit être complétée par d’autres sanctions, plus efficaces, telles que le retrait des capitaux placés en Russie. Le plus important n’est donc pas la sanction gouvernementale, mais le comportement des acteurs privés (banques, entreprises…).

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Philippe Moreau Defarges est chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris.

Spécialiste des questions internationales et de géopolitique, il est l’auteur de très nombreux livres dont Introduction à la géopolitique (Points, 2009).

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