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La Turquie, grande gagnante de l’émancipation du Kurdistan irakien

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Le pétrole du Kurdistan irakien représente 7% des réserves mondiales et 30% des réserves d’Irak. (Photo Oleinik Dmitri / Shutterstock)

 

Il serpente les terres depuis Taq-Taq jusqu’à Ceylan. L’oléoduc Fichkhabour, dont la construction s’est achevée il y a quelques mois seulement, relie le sud d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, à la côte turque. 281 kilomètres où l’or noir coule à flot.

La région autonome du nord de l’Irak et la Turquie ont entamé un rapprochement aussi spectaculaire que surprenant. Depuis trois décennies, le conflit qui oppose la guérilla kurde du PKK, implantée au sud-est de la Turquie, aux autorités d’Ankara a fait plus de 45 000 morts. La République turque n’a donc pas vu d’un très bon oeil l’instauration d’un gouvernement autonome au Kurdistan irakien suite à l’invasion américaine en Irak en 2003, par peur que ce modèle ne s’étende et menace son intégrité territoriale.

Un partenariat stratégique

Le gouvernement turc, conduit par Recep Erdogan, a pourtant décidé depuis de s’en accommoder, au nom d’un choix stratégique : profiter des ressources pétrolières et gazières qui regorgent dans les sous-sols du Kurdistan d’Irak, en établissant un partanariat énergétique fort avec Erbil. La stratégie des autorités d’Ankara répond à trois impératifs cruciaux pour la Turquie.

Le premier : satisfaire le marché intérieur turc. « La Turquie est un pays qui a une croissance économique rapide [3% en 2013, ndlr] et qui a des besoins énergétiques qui augmentent. », explique Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Énergétiques (SPE). Le pays aux 75 millions d’habitants importe déjà pour plus de cinquante milliards de dollars par an de gaz et de pétrole. Et sa consommation devrait être multiplée par deux d’ici dix ans selon les prévisionistes.

Deuxième impératif : « réduire la dépendance de la Turquie vis-à-vis de ses principaux fournisseurs d’énergie que sont l’Iran, la Russie, et l’Azerbaïdjan », explique encore Francis Perrin. Ce qui passe nécessairement par une diversification de ses sources d’approvisionnement. 

Enfin : « Conforter la place de la Turquie comme pays de transit ». Le pétrole et le gaz kurde qui transitent par la Turquie pour être rexportés vers d’autres pays génèrent pour Ankara de substantiels droits de transit. Surtout, « cela place la Turquie en position de carrefour énergétique, ce qui renforce son rôle géopolitique et stratégique, notamment vis-à-vis de l’Union européenne»

Colère de Baghdad

D’autres projets énergétiques sont déjà dans les tuyaux entre Erbil et Ankara. Toutefois, la Turquie, sous pression américaine – Whashington, qui redoute plus que tout un éclatement de l’Irak, craint que l’émancipation énergétique d’Erbil ne mène à l’indépendance de la région du Kurdistan -, et face à la colère de Baghdad, freine son appétit.

Ainsi, pour le moment, la Turquie stocke-t-elle le pétrole en provenance du Kurdistan irakien qui transite via l’oléoduc dans des citernes, sans le reexporter, afin de laisser une chance à un accord tripartite d’aboutir.

Mais si le dialogue devait conduire à une impasse, « Ankara fera passer ses intérêts énérgétiques avant la préservation de ses relations avec Baghdad », pronostique Francis Perrin.

 

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