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Le gaz russe, un enjeu géopolitique

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JOL Press : Quel est le lien entre conflits armés et ressources naturelles ?

 

Jean-Pierre Favennec : Je commencerais par une anecdote. Le Chaco est une région désertique qui se situe entre la Bolivie et le Paraguay, et qui opposa ces Etats de 1932 à 1935. A l’époque, les deux pays étaient persuadés qu’il y avait du pétrole dans cette zone. Le conflit coûta énormément d’argent et fit 100 000 morts. Au final, on se rendit compte qu’il n’y avait pas d’hydrocarbure à cet endroit.

En 2003, de nombreux commentateurs ont affirmé que les Etats-Unis déclaraient la guerre à l’Irak dans l’unique but de faire main basse sur l’or noir du pays. C’est en réalité plus complexe que cela. Le pétrole irakien est géré par une société nationale irakienne, et l’argent issu de son exploitation est utilisé pour reconstruire le pays.

De plus, si l’on compare les sommes dépensées par les Etats-Unis pour cette intervention et le nombre de barils qu’ils auraient pu en tirer, on constate que le coût du baril est nettement supérieur au coût du baril sur les marchés pétroliers.

Je prendrais un troisième exemple. Les tensions très fortes qui existent entre la Chine et le Japon sont en partie liées au fait qu’on pense que des réserves de pétrole relativement importantes se trouvent dans la mer de Chine.

Les ressources naturelles peuvent donc participer à l’explication d’un conflit. Il est par exemple certain que la situation au Moyen Orient serait plus calme si la région ne concentrait pas 60% des réserves mondiales de pétrole.

JOL Press : Vous parliez de la guerre du Chaco. Existe-t-il d’autres exemples dans lesquels les ressources naturelles ont suffi à déclencher un conflit ?

 

Jean-Pierre Favennec : Pendant la Seconde guerre mondiale, lorsque le pacte germano-soviétique a été rompu, en 1941, Hitler n’a pas lancé ses troupes sur Moscou, mais vers Bakou et Volgograd. C’est-à-dire vers les gisements de pétrole. L’or noir était alors une raison de conflit direct avec la Russie. Mais ce type d’exemple est exceptionnel.

JOL Press : Quelles sont les ressources naturelles susceptibles de déclencher un conflit, ou du moins de participer à son déclenchement ?

 

Jean-Pierre Favennec : Le pétrole est un facteur de tensions, dans la mesure où il est essentiel au transport. De façon un peu provocatrice, je dirais que le pétrole sert à faire la guerre puisque l’essence permet de faire fonctionner des camions, des avions et des bateaux. Autant d’engins nécessaires en cas de guerre.

Les métaux précieux constituent aussi des enjeux géopolitiques. Les conflits violents en République démocratique du Congo (RDC), où interviennent  l’Ouganda et le Rwanda sont en partie dus à la présence de minerais (étain, or, coltan), que certains pays essayent de s’approprier.

Le crise russo-ukrainienne qui se joue actuellement est un autre exemple. Le gaz n’est pas l’élément essentiel de ce conflit mais il contribue à exacerber les tensions. Une part importante du gaz consommé en Europe provient de Russie, dont 60% transite par l’Ukraine. A cela s’ajoute le fait que l’Ukraine achète l’essentiel de son gaz à Moscou. Et Gazprom vient de décider de mettre fin, dès avril, à la baisse du prix du gaz vendu à l’Ukraine.

Je parlais du Congo ou de l’Ouganda, mais il n’y a, aujourd’hui, aucune guerre officiellement déclarée pour mettre la main sur des ressources naturelles.

JOL Press : La raréfaction de certaines ressources pourrait-elle, à l’avenir, augmenter les risques de conflits ?

 

Jean-Pierre Favennec : Actuellement, la production de pétrole est de 90 millions de barils par jour. D’ici 15 ou 20 ans, l’offre se stabilisera, alors que la demande va continuer d’augmenter, et de façon considérable. Si la Chine atteignait le mêmeéquipement en voitures que les Etats-Unis et l’Europe, elle aurait besoin de tout l’or noir disponible de la planète.

Le potentiel de demande du pétrole sera donc, dans les années à venir, extrêmement important. Je pense que des solutions alternatives seront trouvées pour prévenir des tensions géopolitiques avant que l’offre ne soit rattrapée par la demande. De plus, les prix augmenteront à mesure que les ressources de pétrole diminueront, régulant ainsi la demande.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole.

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