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Le récit très lisse de la féminisation des armées

Journée de la femme oblige, le ministère de la Défense met en avant celles qui servent sous les drapeaux. Jean-Yves Le Drian a décoré cinq femmes militaires et deux civiles de la Défense le 6 mars. Le magazine « 66 minutes » sur M6 diffuse le dimanche 9 mars un portrait du capitaine Claire Mérouze, pilote de Rafale. L’Armée de l’Air met aussi en avant le capitaine Aurélie G., « qui mène de front une carrière opérationnelle bien remplie et une vie privée épanouie ». La gendarmerie n’est pas en reste avec la mise en ligne de 15 portraits de femmes qui œuvrent dans ses rangs, sous le titre « Etre une femme gendarme aujourd’hui ».

Rien de très nouveau sous le soleil. La Défense valorise depuis de nombreuses années des parcours de femmes qui s’engagent à son service. Mais le récit médiatique qui est fait sur le sujet mérite réflexion. Dans une étude consacrée à l’image des militaires à la télévision, j’évoquais cette « féminisation joyeuse et sans heurts » que mettent en scène les multiples reportages diffusés sur le sujet. Pour les Français qui ne voient de l’augmentation des effectifs féminins dans l’armée que ces marronniers télévisuels (du 8 mars et du 14 juillet), tout est rose pour les femmes sous l’uniforme et pour leurs confrères masculins : les préjugés sont toujours surmontés, les femmes s’adaptent facilement (même si l’on évoque parfois une relative inégalité de capacités physiques), les moindres contraintes opérationnelles sont levées sans grande difficulté. Féminiser, c’est bien. Jusqu’à quel seuil ? On ne sait pas. Mais c’est bien.

Et si une femme est enceinte ?

Dans un reportage diffusé sur TF1 le 8 décembre 2001, intitulé « Les femmes du Charles de Gaulle »,  parmi les multiples questions posées, celle-ci ne manquait pas de piquant : « Et si une femme est enceinte ? ». La réponse de Carole Titran, capitaine de corvette et médecin principal du bâtiment, était claire : « C’est une contre-indication majeure donc la femme sera débarquée. On le programmera sans interrompre la mission de la façon la plus rapide possible ». Le sujet était donc clos. Ces quelques mots révélaient pourtant bien des questions que posent la féminisation de l’armée, au regard de son efficacité opérationnelle et de la réalité combattante du métier.

Ces enjeux opérationnels de la féminisation ne sont d’ailleurs pas niés par l’institution. Dans son 7ème rapport consacré aux « femmes dans les forces armées françaises », le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire rappelait que l’armée ne peut se plier aux objectifs de parité totale que la société française fixe explicitement ou implicitement à d’autres professions : « Compte tenu de la nature de leur engagement et de la spécificité de leur métier, les militaires ne peuvent se voir tout simplement transposer les règles et comportements de pratique professionnelle en vigueur dans l’ensemble de la société. Les exigences opérationnelles doivent être placées en amont de toute réflexion sur la transposition de ces règles professionnelles par la communauté militaire. En conséquence la parité, au sens strict et mathématique du terme, entre femmes et hommes ne peut pas constituer un objectif applicable dans l’institution militaire ».

Quand l’indifférenciation se heurte à de bêtes réalités

Si cette parité absolue ne peut être atteinte en raison d’ « exigences opérationnelles », c’est bien que des questions de fond se posent. Elles ne sont pourtant proposées que très rarement à la réflexion du grand public. Tout ce qui transparaît médiatiquement est lisse, parfaitement lisse. Si le débat est posé dans des cercles savants (en témoigne un numéro de la revue Inflexions intitulé « Hommes et femmes, frères d’armes ? L’épreuve de la mixité »), il ne l’est jamais dans les médias. Pour le grand public, il faut raconter une histoire parfaite sur cette féminisation, une histoire lisse, sans aspérité. Le recrutement, sans doute, est à ce prix. L’image de l’institution également. Même si elle ressort bien écornée, du coup, lorsque sont publiées des révélations sur les violences sexuelles au sein de l’armée.

Certes, le sujet n’est pas facile à aborder : il n’est pas dans l’air du temps que ces questions soient posées. Il n’est pas dans l’air du temps que des exigences opérationnelles viennent souligner que l’indifférenciation se heurte à de bêtes réalités. S’engager dans un récit qui prenne en compte toute la subtilité du sujet ne nuirait pourtant à personne. Et surtout pas, en premier lieu, à celles qui portent l’uniforme. 

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