Site icon La Revue Internationale

Le sort de l’Union bancaire européenne entre les mains de Berlin

[image:1,l]

L’Allemagne peut engager jusqu’à 190 milliards d’euros d’argent public sous forme de garanties dans le cadre du MES, lequel peut prêter jusqu’à 500 milliards d’euros aux pays en difficulté de la zone euro. (Photo: Andrey Burmakin/ Shutterstock)

 

JOL Press : Par qui la Cour constitutionnelle fut-elle saisie ?
 

Stefan Seidendorf : A la base, ce sont des citoyens, comme le permet la constitution allemande. Bien entendu, il s’agit de personnalités bien connues.

On peut distinguer deux groupes : d’un côté, les eurosceptiques notoires, qui n’en sont pas à leur première plainte. Il s’agit d’un groupe de professeurs de droit public et d’économie pour qui toute communautarisation de souveraineté est à refuser par principe.

De l’autre côté, on retrouve un mouvement citoyen autour de l’ancienne ministre de la Justice de Gerhard Schröder, Herta Däubler-Gmelin. Ce groupe s’inquiète notamment des effets négatifs du MES pour la démocratie. La crainte est qu’une fois le mécanisme en place, non seulement la souveraineté budgétaire du parlement national sera mise en question – il sera ainsi impossible de refuser une augmentation du MES en cas de nouvelle situation d’urgence -, mais il sera également impossible de « démocratiser » ce mécanisme au niveau européen, de sorte que le MES développera une autonomie exécutive ou technocratique impossible à contrôler démocratiquement – une vision somme tout pas si éloignée des gaullistes « traditionnels »).

Pour saisir l’importance de cet argument, il faut garder en tête que, dans la plupart de pays occidentaux, la transformation démocratique de l’Ancien régime vers l’Etat-nation moderne et démocratique dépendait de la question de la souveraineté budgétaire – à partir du moment où le parlement gagnait le droit de lever les impôts et d’allouer les recettes.

JOL Press : La classe politique allemande est-elle en majorité opposée au Mécanisme européen de stabilité ?
 

Stefan SeidendorfNon, l’Allemagne a voté à une très grande majorité pour le MES ; elle en est d’ailleurs le premier contributeur. La grande coalition actuellement au pouvoir, donc gauche et droite « gouvernementales » confondues, sont en faveur de ce mécanisme.

La cour constitutionnelle à validé le principe d’un tel mécanisme, à condition qu’il respecte les bases démocratiques de la constitution. Ce n’est donc pas si différent de la situation française.

JOL Press : Qu’est-ce qui est reproché au MES ?
 

Stefan Seidendorf : La crainte d’un mécanisme peu démocratique, difficile à contrôler, sous l’influence unique des gouvernements – donc de l’exécutif -, ce qui rend difficile une orientation politique de ce MES. On ne pourrait l’orienter selon une politique « de gauche » ou « de droite » qui émanerait d’une majorité parlementaire, elle-même basée sur la volonté d’une majorité des citoyens.

Le résultat d’un contrôle « gouvernemental », émanant des négociations entre gouvernements, serait que le MES alignerait sa politique sur le plus petit dénominateur commun entre les gouvernements.

Deuxièmement, l’un des principes de base de la pensée économique allemande est l’idée selon laquelle l’Etat doit établir les règles du jeu économique, mais ne doit pas intervenir à l’intérieur de ce jeu pour influencer ou fausser les équilibres.

Ceci dit, cette conviction, souvent avancée pour expliquer les hésitations allemandes, n’a pas du tout empêché le gouvernement allemand d’intervenir massivement au niveau national pour stabiliser le secteur bancaire. En cas de crise et de déséquilibre fondamental, les principes de base peuvent donc être mis de côté… –

JOL Press : Il y a un an et demi, la Cour Constitutionnelle allemande avait pré-validé le MES. Ce pourrait-il aujourd’hui qu’elle le rejette finalement ? 
 

Stefan Seidendorf : La cour a clairement constaté qu’elle ne voyait pas d’inconstitutionnalité du MES tant qu’il reste possible pour le Bundestag [parlement, ndlr] de contrôler la participation allemande à ce mécanisme.

Puis, l’affaire des [OMT outright monetary transaction, le programme de la BCE pour racheter de la dette souveraine, ndlrs’est invitée dans le débat, au moment même où les juges allemands étaient en train d’auditionner les différents parties sur le MES.

Or l’on ne peut pas vraiment séparer les deux affaires, car dans les deux cas, il s’agit (pour les adversaires du MES et du programme de la BCE) de financer avec l’argent public la dette publique… et cela, sans que le parlement allemand, ou qui que ce soit d’autre, puisse contrôler les sommes et la durée d’un tel programme de (re)financement public.

La Cour a insisté sur les conditions qui devaient s’appliquer au MES pour qu’il n’entre pas en conflit avec la constitution allemande ; elles sont aujourd’hui pratiquement toutes réunies.

Elle a ensuite décidé que la question des OMT relevait de la compétence de la Cour de justice européenne, puisque la BCE est une institution européenne. Comme la Cour allemande n’avait auparavant jamais reconnu formellement la suprématie de la juridiction européenne, la vraie révolution se situe là – les juges allemands refusent toutefois toujours de parler de suprématie, ils voient plutôt une sorte de coresponsabilité, selon les « compétences » en question, relevant de l’État-nation ou de l’UE…

Si la cour européenne partage l’opinion d’une courte majorité des juges allemands, les OMT sont rejetés, ou clairement encadrés dans leur application. Dans ce cas, le MES fonctionne comme prévu par les juges allemands, c’est-à-dire qu’il reste sous le contrôle démocratique des pays participants, en Allemagne, du Bundestag.

Si, par contre, la cour européenne décidait que les OMT rentraient parfaitement dans le mandat de la BCE, alors tous les garde-fous établis par les juges allemands pour assurer un contrôle démocratique du MES sauteraient. Dans ce dernier cas, on ne sait pas comment les juges pourront s’extirper du piège qu’il se sont eux-même tendus… Donc, oui, il reste un peu de « suspens », mais en regardant par le passé, on peut, en tant que pro-européen, garder confiance en la sagesse des juges… 

JOL Press : Si la Cour constitutionnelle valide le MES, lui apportera-elle des modifications ? 
 

Stefan SeidendorfLe principal a été dit en 2012, notamment concernant les clauses que l’Allemagne devait notifier aux autres pays contractants après la première décision de la Cour. L’Allemagne y explique « son » interprétation de certaines clauses du MES. Notamment le contrôle démocratique par les parlements nationaux et l’impossibilité pour le MES de s’accorder « automatiquement » une augmentation de ses fonds.

Si les autres pays décidaient de passer outre ou d’ignorer un jour cette interprétation, l’Allemagne aura alors légitimement la possibilité de résilier de manière unilatérale le traité intergouvernemental à la base du MES. 

JOL Press : Quelles seraient les conséquences d’un rejet du MES par la Cour constitutionnelle allemande ?
 

Stefan SeidendorfIl n’y aura pas un rejet pur et simple, mais une série de conditions et de modifications demandées qui seront de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre sans compromettre le fonctionnement et le sens même du MES. 

JOL Press : Le MES a-t-il un avenir si l’Allemagne n’y souscrit pas ? 
 

Stefan SeidendorfDifficile à dire, cela dépend de la forme que les pays contractants décideraient alors de donner à leur coopération monétaire. S’ils décidaient, par exemple, de créer un « euro du sud » sans l’Allemagne, leur permettant une dévaluation compétitive envers l’Allemagne, ils pourraient aussi décider d’un mécanisme entre eux pour équilibrer les déficits macroéconomiques.

Ceci dit, ce serait la fin de l’Union européenne et du processus d’intégration comme nous l’avons connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais aussi la fin de la coopération franco-allemande et du rôle moteur de ces deux pays. A coup sûr, la concurrence et les conflits entre la France et l’Allemagne renaîtraient alors très vite après.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

Quitter la version mobile