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L’économie sud-africaine doit se réinventer

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JOL Press : Comment se porte l’économie sud-africaine ?
 

Alexandre Kateb : Pas très bien. Elle a été très sévèrement impactée par la crise mondiale de 2008 et ne s’en remet qu’avec peine. Les indicateurs sont au rouge : taux de change (le rand a perdu 30% de sa valeur entre juin 2011 et juin 2013, ndlr), déficit courant (il a doublé en 2012 à 197,6 milliards de rands, soit 6,3% du PIB, contre 3,4% en 2011, ndlr), déficit budgétaire… Ce n’est pas pour rien que l’Afrique du Sud a été mise dans le groupe des «5 fragiles», ces économies émergentes particulièrement vulnérables aux chocs externes et connaissant un ralentissement de leur croissance.

JOL Press : Comment l’économie du pays a-t-elle évolué ces dernières années ?
 

Alexandre Kateb : La situation en Afrique du Sud a toujours été globalement assez compliquée, à l’exception de la période 2002-2007 lorsque son économie était en plein boom, portée par les exportations de matières premières vers la Chine à des prix particulièrement élevés. Aujourd’hui, ce facteur de soutien important a disparu et le retournement a été brutal. La dette publique reste contenue mais les capitaux privés étrangers ont eu tendance à quitter le pays ces derniers temps.

JOL Press : Quelles sont les raisons qui expliquent cette situation ?
 

Alexandre Kateb : Elle est en partie liée aux facteurs conjoncturels évoqués précédemment, avec une vulnérabilité aux chocs externes qui reste très forte. Les réserves en devises s’élèvent à peine à 50 milliards de dollars par exemple, contre 700 milliards pour une économie rentière comme l’Arabie saoudite.

De fait, l’Afrique du Sud est une économie semi-rentière, avec quelques secteurs performants dans les services à forte valeur ajoutée (finance, télécoms) et l’industrie manufacturière (automobile notamment). Mais ces secteurs ne créent pas suffisamment d’emplois pour absorber la majorité noire de la population, sous-éduquée et qui vit dans des conditions socio-économiques très dégradées.

Le secteur minier est quant à lui entre les mains de quelques grands consortiums contrôlés en partie par des intérêts étrangers et la minorité blanche. Il joue un rôle dans le bouclage macroéconomique externe du pays (recettes en devises), mais ne peut absorber qu’une faible partie de la main d’œuvre, d’autant qu’avec les grèves à répétition de ces dernières années et les augmentations salariales consenties à chaque fois, les investisseurs étrangers sont de plus en plus échaudés.

Voilà ce qui explique le fort taux de chômage (25% de la population active et 50% des jeunes), qu’il faut d’ailleurs corriger à la hausse de 10 à 15 points pour tenir compte de la faible participation à l’emploi de la population, découragée par l’absence d’opportunités d’emploi.

JOL Press : A qui a profité la croissance économique sud-africaine ?
 

Alexandre Kateb : Elle n’a bénéficié en définitive qu’à la minorité blanche, ce qui était déjà le cas à l’époque de l’Apartheid, et à une petite classe de bourgeoisie noire émergente – qu’on appelle les «Black diamonds» – qui a profité grâce à des connexions politiques des mesures de Black empowerment, au demeurant limitées, actées dans les années 1990 et 2000 par le gouvernement.

La plus grande partie de la population n’a pas vu de réelle amélioration de son sort au cours des 20 dernières années. Il y a beaucoup de frustration. Ce qui explique les débordements sociaux et l’émergence de mouvances politiques plus radicales autour de figures comme le bouillonnant Julius Malema, ex-star montante de l’ANC (African National Congress), qui a été exclu et qui a fondé son propre parti.

JOL Press : L’Afrique du Sud a-t-elle su tirer profit de ses importantes ressources naturelles ?
 

Alexandre Kateb : Comme je l’ai déjà indiqué, il ne faut pas exagérer le rôle joué par les ressources naturelles dans l’économie sud-africaine. Cela a plutôt été un cadeau empoisonné : lorsque les prix de ces matières premières étaient élevés, l’investissement national et étranger a afflué dans ce secteur. Cela s’est traduit par une sur-appréciation du rand, par l’étouffement de la compétitivité des autres secteurs, et par des revendications salariales insoutenables qui se sont propagées aux autres secteurs.

C’est un cas classique de «mal hollandais» avec lequel l’économie sud-africaine se débat aujourd’hui. Le gouvernement tente de réindustrialiser le pays et de mettre l’accent sur les industries manufacturières et les petites entreprises. Mais il y a de tels déséquilibres et une telle compétition internationale sur ces segments qu’il est difficile, dans un contexte d’ouverture des marchés, de développer l’industrie locale sans un minimum de protection.

L’Afrique du Sud souffre aussi d’un marché domestique beaucoup plus étroit que celui d’autres puissances émergentes, comme le Brésil par exemple, ce qui handicape considérablement le développement de l’offre industrielle locale. L’avenir de l’Afrique du Sud passe donc par une intégration de plus en plus poussée du continent africain, synonyme d’élargissement de la demande pour les produits locaux.

JOL Press : Le Nigeria est en train de supplanter l’Afrique du Sud en tant que première économie du continent africain. Comment l’expliquer ?
 

Alexandre Kateb : Le Nigeria est une puissance démographique et pétrolière. Ce qui explique l’attention dont il fait l’objet. Il y a par ailleurs une classe moyenne émergente capable de consommer des produits vendus par les multinationales.

Toutefois, il faut relativiser la capacité de ce pays à devenir une locomotive pour le continent, contrairement à l’Afrique du Sud qui a véritablement vocation à jouer ce rôle en raison de la maturité et de la sophistication de ses industries et de ses entreprises. En outre, le Nigeria est plombé par de sérieux problèmes de corruption et de prévarication associés à la rente pétrolière, comme l’a montré le récent scandale autour de la société pétrolière nationale.

Au final, il n’y a pas et il ne pourra pas y avoir dans un futur proche de leader naturel unique en Afrique. C’est un continent immense qui recouvre en terme de superficie la Chine, les Etats-Unis, le Brésil et l’Inde réunis ! L’avenir de l’Afrique ne peut passer que par l’intégration et l’exploitation des complémentarités entre les différents pays qui la constituent. 

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Alexandre Kateb est diplômé de l’Ecole Centrale Paris et de Sciences Po Paris. Il dirige le cabinet de conseil et d’analyse COMPETENCE FINANCE. Il a écrit Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde (2011). Il consacre à l’économie des pays émergents un enseignement à l’IEP de Paris. Il a co-fondé en septembre 2011, le Club Emergences, une plateforme d’échanges et de dialogue entre les grands décideurs européens et ceux des pays émergents.

 

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