Site icon La Revue Internationale

Les chantiers de Saint-Nazaire, symbole d’une industrie qui s’accroche

[image:1,l]

JOL Press : La commande annoncée ce matin par MSC croisière va faire travailler les chantiers de Saint-Nazaire pour les 5-6 ans à venir. Un signe de la bonne santé de la construction navale française ?
 

Paul Tourret : Les chantiers de Saint-Nazaire, ainsi que leur annexe de Lorient, sont les reliquats d’une grosse industrie navale, qui a perdu la plupart de ses chantiers dans les années 1980. L’Europe subissait alors une crise profonde de son industrie navale. La Ciotat, La Seyne, La Rochelle, Nantes, Dunkerque, étaient alors pourvus en chantiers navals.

Saint-Nazaire, dernier vestige de ce fleuron industriel, incarne donc parfaitement la longue histoire de la construction navale française. Elle a d’ailleurs évolué dans sa production, puisque les derniers navires de charge, des méthaniers, furent remontent à 2007 (ce marché s’est d’ailleurs totalement éteint en Europe). Aujourd’hui, le marché qui fait tourner les chantiers de Saint-Nazaire est celui des bateaux à forte valeur ajoutée, les ferries et surtout les paquebots. STX France décroche des contrats réguliers dans ces secteurs, bien que l’activité soit parfois inquiétante : annulation de contrats, manque de visibilité sur la décennie à venir…

Saint-Nazaire a tout de même sorti des navires très haut de gamme, sur des contrats extrêmement bénéfiques, tels que le Queen Mary II.

JOL Press : Les contrats de MSC sont souvent perçus comme un ouf de soulagement, qui sauve à chaque fois les cinq prochaines années du chantier. Cette commande n’est-elle pas un « arbre qui cache qui la forêt » ?
 

Paul Tourret : En l’occurrence, l’arbre ne cache rien parce qu’il n’y a pas de forêt.

Néanmoins, gardons à l’esprit que c’est une activité cyclique. Les armateurs de croisière commandent dans des périodes d’euphorie (comme entre 2002 et 2008), qui sont suivies de sinistrose (de 2008 à 2012). Les chantiers doivent vivre avec ces cycles. En revanche, Saint-Nazaire a cette particularité d’avoir un client historique, MSC Croisières, 3ème opérateur mondial, qui y a fait construire l’intégralité de sa flotte.

Les chantiers de l’Atlantique sont un outsider mondial qui tire bien son épingle du jeu. Mais sa position n’est pas assurée, et l’oblige donc à se battre continuellement. Ils doivent se demander, à chaque chantier, si ce contrat n’est pas le dernier de leur Histoire.

JOL Press : Les chantiers de Saint-Nazaire véhiculent-ils un savoir-faire et une excellence française reconnus ?
 

Paul Tourret : Le secteur est très concurrentiel, avec les Allemands, les Finlandais ou les Italiens, qui savent très bien faire des bateaux. C’est un marché haut de gamme, tenu par des puissances industrielles, qui doivent s’adapter à tous types de clients. L’an dernier par exemple, Saint-Nazaire a sorti pour l’armateur allemand Hapag Lloyd Cruises un paquebot de grand luxe, l’Europa 2, prévu pour contenir peu de passagers…

On joue en permanence sur cette adaptabilité. Les armateurs américains, par exemple, ont des exigences bien différentes des autres : à cause de la configuration des leurs ports, ils demandent des navires moins longs et plus larges.

Un paquebot est à la fois un navire et un hôtel de luxe : c’est là que le savoir-faire français est particulièrement remarqué. L’excellence française dans la conception et le design permet la construction de cet outil maritime et touristique très particulier.

JOL Press : En dehors de MSC, Saint-Nazaire parvient-il à se diversifier dans ses commandes ou ses produits, comme par exemple avec de la construction navale militaire ?
 

Paul Tourret : Les chantiers tournent moins sans les commandes de MSC, c’est évident. Les chantiers de l’Atlantique ont donc cherché à se diversifier, que ce soit dans le type de navires ou même d’autres ouvrages maritimes, tels que l’éolienne offshore.

Quant à la construction navale militaire, elle s’est implantée à Saint-Nazaire pour certains types de bateaux, les Bâtiments de projection et de commandement (BPC). La construction d’État de la Marine ayant montré ses limites, les chantiers de l’Atlantique ont récupéré ce marché. Ces navires se rapprochent plus de la construction navale civile : peu d’armement, une coque métallique extrêmement épaisse… Dans ce cadre, les deux frégates de type Mistral commandées par la Russie sont construites à Saint-Nazaire. Ces mêmes frégates que l’on hésite aujourd’hui, dans le contexte russo-ukrainien, à fournir à Vladimir Poutine…

Il n’empêche que ces contrats d’armement, notamment avec la Russie, sont vitaux pour la diversification des chantiers français. Ce type de navires, que la Russie ne possède pas, est assez unique. Néanmoins, si le gouvernement décide de ne pas les livrer à l’armée russe, la perte sera plus grande pour nos chantiers que pour Vladimir Poutine, qui se tournera vers les chantiers et entreprises russes.

Enfin, l’annulation de ce contrat serait une perte d’emploi, puisque le second navire commandé par la Russie n’est pas encore construit.

JOL Press : Peut-on encore parler de construction navale française, quand la majorité des chantiers de Saint Nazaire appartient au Coréen STX ?
 

Paul Tourret : La construction navale française est aujourd’hui sous pavillon coréen après avoir été sous pavillon norvégien avec Aker Yard. L’État français possède encore des parts, et pourrait d’ailleurs reprendre l’activité via le Fonds souverain français. Mais pour l’instant, les chantiers de l’Atlantique fonctionnent et ont des contrats, ce qui n’incite pas à changer de gouvernance.

En revanche, le problème est justement que Saint-Nazaire reste un constructeur naval français, possédé par un Coréen : il n’y a aucune cohérence d’ingénierie et d’économie entre les deux. Le savoir-faire demeure donc bien français, et enraciné à Saint-Nazaire….

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

———————————-

Paul TOURRET est Directeur de l’Institut Supérieur d’Economie Maritime (ISEMAR), observatoire des industries maritimes localisé à Nantes Saint-Nazaire.

 

Quitter la version mobile