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Les collectivités locales amputées de 10 milliards d’euros : l’AMF réagit

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Le gouvernement a promis 50 milliards d’économies de dépenses publiques d’ici à la fin du quinquennat et, selon Le Parisien, les communes, les départements et les régions pourraient se voir amputer près de 10% de leurs ressources d’ici à 2017. Un montant jugé excessif par la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu. « Je n’ai aucun arbitrage sur les chiffres », a assuré la ministre à Radio-Classique et LCI, mardi 4 février. « La répartition des économies n’est pas arrêtée. Les grandes lignes seront présentées dans le programme de stabilité au mois d’avril. A mon avis, on n’arrivera pas à 10 milliards. Mais moi je ne veux pas jouer aux chiffres. Je ne spécule pas, je me méfie, même si tous les chiffres sont sur la table ».

Si ce dispositif est mis en place, comment les mairies vont-elles s’organiser ? Quels secteurs vont être touchés en priorités ? Eléments de réponse avec Philippe Laurent, vice-président et président de la commission des Finances et de la fiscalité locale de l’Association des maires de France (AMF).

JOL Press : Le gouvernement s’apprêterait, selon Le Parisien, à réduire de 10 milliards les subventions versées par l’Etat aux mairies, aux départements et aux régions. Quelle est votre réaction ?

Philippe Laurent : Je ne suis pas véritablement surpris. Le président de la République a promis de faire une économie de 50 milliards d’euros sur les trois années qui viennent, les collectivités locales représentant 20%  de la dépense publique, on comprend bien pourquoi le gouvernement prévoit de réduire de 10 milliards les subventions versées par l’Etat aux mairies, aux départements et aux régions. Comme l’Etat ne peut pas imposer des normes de dépenses aux collectivités locales, parce que ce serait contraire à la constitution qui prévoit que les collectivités s’administrent librement, la seule façon pour le gouvernement d’aboutir à la réduction des dépenses des collectivités c’est de réduire ses subventions.

Ce n’est donc pas surprenant mais il faut bien que le gouvernement et la majorité mesurent les conséquences d’une telle décision. Les collectivités territoriales assument, en effet, les ¾ des investissements publics, en matière de transport, de voieries, d’équipements publics ou de bâtiments et elles gèrent pratiquement tous les services de proximité en direction de la population, comme les écoles, les crèches ou les foyers de logements pour les personnes âgées – si elles ne les gèrent pas directement, elles subventionnent ou financent des associations qui le font. Il faut donc bien comprendre que toute diminution de recette des collectivités territoriales, qui ne serait pas compensée par une augmentation de la fiscalité ou une augmentation de l’endettement, réduit automatiquement le niveau de services de la collectivité.

Comme les maires et les présidents généraux et régionaux n’augmenteront pas de manière importante les impôts dans les années qui viennent, parce qu’ils ne le peuvent plus vraiement, et qu’ils ne veulent plus s’endetter, il faudra prévoir une baisse des investissements et la fermeture d’un certain nombre de service.

JOL Press : Quels seront les secteurs touchés en priorité si le gouvernement réduit les subventions versées par l’Etat aux mairies ?

Philippe Laurent : Ce seront les secteurs qui coûtent le plus cher. Je pense notamment aux secteurs de la petite enfance et à l’école. Si le gouvernement réduit les subventions versées par l’Etat aux mairies, il faudra envisager des fermetures ou des privatisations de crèches, par exemple. On nous dit que les collectivités locales ont augmenté leurs effectifs mais ce nous n’avons pas créé d’emplois de bureaux mais des postes de policiers municipaux et d’assistantes maternelles pour les crèches. Les crèches demandent énormément de personnel : sur ma commune, à Sceaux, sur les 400 agents municipaux, 100 travaillent en crèche. L’Etat veut qu’on réduise nos effectifs, nous allons le faire, aucune loi ne nous oblige à nous occuper des crèches, ce sont les habitants de nos communes qui seront les premiers touchés par ces réductions de subventions.

Il faut que l’Etat engage sans tarder de vraies discussions avec l’ensemble des acteurs publics pour déterminer quel est le niveau de service public que l’on veut. Ce qui n’est pas acceptable aujourd’hui, c’est que l’Etat nous dit qu’on peut garder le même niveau de services en dépensant moins mais ce n’est pas vrai. L’Etat se ment à lui-même et ment aux Français en disant cela. On peut toujours faire des économies, bien entendu et il faut faire attention, je suis d’accord, mais il y a des limites, les dotations de l’Etat ont déjà diminué d’1,5 milliard cette année. Il s’agit d’un vrai débat politique sur le niveau des services publics, sur la mutualisation des dépenses, la mutualisation des risques sociaux… Ce n’est pas un débat sur les dépenses publiques mais sur les politiques publiques.

JOL Press : Pensez-vous que toutes les communes seront touchées de la même manière ? On pense notamment aux communes rurales qui sont déjà en grande difficultés financières.

Philippe Laurent : Paradoxalement, certaines communes rurales ne sont pas en difficultés financières parce qu’elles proposent moins de services. Je pense que les collectivités qui sont le plus en difficultés sont les communes moyennes, les bourgs de 5000 habitants assez éloignés d’une ville-centre mais aussi les petites villes dans les agglomérations ou au pourtour des agglomérations. Ces collectivités n’ont plus beaucoup de marges de manœuvre et si elles n’arrivent pas à survivre, c’est tout un territoire qui s’assèche. Ces villes ont déjà été très fragilisées par le retrait des services publics de l’Etat, de l’armée ou des hôpitaux.

Je pense que le gouvernement aura la volonté de répartir la levée des subventions en fonction d’un certain nombre de critère. Le système péréquation, c’est-à-dire le mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales, fonctionne bien en France. Il faut donc veiller à ce qu’un système de péréquation par la pénurie ne vienne pas, par ses échecs secondaires, contredire un mécanisme qui fonctionnait bien.

JOL Press : Vous dites qu’il n’y aura pas d’augmentation des impôts mais certaines communes vont peut-être être contraintes de le faire, non ?

Philippe Laurent : Encore une fois on n’est jamais vraiment contraint d’augmenter les impôts, on peut fermer des services. La mairie n’est pas tenue mettre en place des services culturels ou sportifs ou encore des crèches. Je ne suis pas certain que les maires accepteront d’augmenter les impôts, ils sont déjà suffisamment élevés comme cela.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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