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Les moustiques tigres présents dans 18 départements: faut-il s’en inquiéter?

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Il n’existe ni vaccins ni traitements anti-viraux spécifiques contre le chikungunya et la dengue, maladies transmises par piqûres de moustiques tigres (ou « Aedes albopictus»). Seulement des anti-inflammatoires. Et de la prévention…

Grégory L’Ambert, entomologiste à l’EID Méditerranée, nous explique le plan anti-dissémination existant en France. Et pourquoi celui-ci pourrait être mis à rude épreuve cet été.

 

JOL Press : Dans quels départements a-t-on décélé la présence de moustiques tigres ?
 

Grégory L’Ambert : Actuellement, il est installé dans dix-huit départements : les Alpes-Maritimes, le Var, les deux départements corses, les Bouches-du-Rhônes, les Alpes-de-Haute-Provence, le Gard, l’Hérault, le Vaucluse, le Lot-et-Garonne, la Gironde, l’Isère, le Rhône, la Drôme, l’Ardèche, la Haute-Garonne, l’Aude, et les Pyrénées orientales.

Dans tous ces départements, le niveau d’alerte a été relevé au niveau 1 [l’échelle va du niveau 0 au niveau 6, ndlrpuisqu’il y a la présence de moustiques tigres.

Les niveaux peuvent monter jusqu’à 2 ou 3 en cas de transmission locale. C’est arrivé en 2010 lorsqu’il y a eu deux cas de dengue et deux cas de chinkungunya, et en 2013 avec un cas de dengue. 

JOL Press : Cette arrivée précoce était-elle prévisible ?
 

Grégory L’Ambert : C’était relativement prévisible, oui. Dès les années 1990, des entomologistes avaient alerté les autorités sanitaires sur le risque d’introduction du moustique tigre en métropole puisqu’il était déjà présent en Europe, notamment en Italie, depuis une vingtaine d’années. Donc on savait qu’il y avait un fort risque.

Soit qu’il traverse la frontière ; c’est ce qui s’est passé en 2004 lorqu’il a passé la frontière italienne pour s’établir en France près de Menton.

Soit d’être transporté par les pneumatiques – c’est un moustique qui aime pondre dans les pneus – lors d’échange de pneux pour le rechapage entre les continents – échanges qui sont particulièrement importants. Donc dès les années 1990, on a mis en place une surveillance aux frontières des importateurs de produits.

Ce moustique est l’une des espèces les plus invasives au monde : à partir du moment où il s’est implanté quelque part, il va sans cesse se diffuser et s’installer dans de nouvelles zones. C’est pourquoi, en France, on met en place une surveillance entomologiste pour suivre sa progression et l’empêcher de s’installer, mais c’est extrèmement compliqué d’éliminer complètement cette espèce une fois qu’elle s’est installée.

JOL Press : Des traitements à grande échelle sont-ils envisagés ?
 

Grégory L’Ambert : Ce qu’il faut savoir au préalable, c’est qu’il faut agir très vite, avant même qu’il y ait des cas avérés de dengue ou de chinkungunya, dès les premiers cas suspects. Et puis que les traitements d’élimination sont vraiment très compliqués.

Il existe deux types de traitement. Lorsqu’il s’est installé, la situation est irréversible. Donc on essaye de surveiller sa propagation pour avoir l’information de son arrivée le plus précocement possible. A partir de là, on va utiliser des insecticides.

C’est compliqué, parce qu’il faut essayer d’être exhaustif, de tuer toutes les larves et tous les adultes. De plus, on a un problème avec les oeufs, car ils sont pondus un peu partout et résistent souvent à l’insecticidation ; on n’a pas de méthode pour les supprimer. On est donc obligé de répéter les interventions pour tuer les larves une fois que les oeufs ont éclos.

Le deuxième traitement est préventif : on surveille les personnes qui ont potentiellement importé le chinkungunya et la dengue de leur retour de voyage à l’étranger.

JOL Press : Quelles mesures de prévention faut-il adopter si l’on se trouve dans un département touché ?
 

Grégory L’Ambert : C’est un moustique très nuisant, il va beaucoup piquer l’homme. Pour s’en prémunir, il faut suppimer toutes les petites collections d’eau, comme les soucoupes de pots de fleurs, les arrosoirs, les sceaux, etc, où il va pondre. En vidant l’eau, vous êtes sûrs que vous tuez toutes les larves de moustiques, et ainsi garantissez la diminution de la nuisance de 70 à 90%.

A l’extérieur, portez des vêtements de préférence amples et de couleurs claires, notamment pour ce qui est des pantalons, car c’est un insecte qui aime particulièrement piquer les parties basses du corps humain. Vous pouvez aussi utiliser des répulsifs.

Hors contexte sanitaire, c’est-à-dire en dehors des cas où le moustique est porteur du chinkungunya ou de la dungue, les piqûres ne présentent pas de risques, simplement la nuisance d’être piqué. Le moustique par lui-même est en effet complètement sain.

Le problème commence quand un moustique rencontre une personne arrivant de l’étranger, infectée avec un virus qui circule dans son sang. Le moustique qui est sain, en piquant la personne malade, va s’infecter. Mais en dehors de ces cas là, les moustiques tigres présents en métropole ne sont pas pathogènes. Ce n’est pas parce que vous avez des rats que vous avez la peste ; tant que le pathogène n’est pas présent il n’y a pas de risque de transmission.

JOL Press : D’où provient le moustique tigre ? Comment est-il parvenu jusqu’en France ?
 

Grégory L’Ambert : A la base, c’est un moustique qui est asiatique, qu’on trouvait plutôt dans les forêts. Progressivement, il s’est rapproché des zones urbanisées.

Il s’est ensuite propagé de continent en continent par le biais du commerce intercontinental des pneumatiques et des plantes d’ornement en provenance d’Asie qui sont des « nids » à oeufs.

Une fois qu’il s’est implanté sur chaque continent, la propagation s’est faite essentiellement via le transport de personnes et de marchandises. En, France il est arrivé par les pneumatiques, mais également de proche en proche depuis l’Italie.

JOL Press : Peut-il provoquer une épidémie ?
 

Grégory L’Ambert : En théorie oui, par exemple ils ont provoqué une épidémie de Chikungunya à l’ile de La Réunion il y a quelques années. Cependant, cette ile est très proche de l’Afrique d’où sont arrivé les personnes porteuses du virus. En métropole, le virus n’est pas présent. Il est quelquefois importé par des personnes ayant été infectée au cours d’un voyage.

En 2007 par exemple, une personne est revenue d’Inde porteuse du virus du chikungunya et est rentrée en Italie début juillet dans un village infesté de moustiques tigres. Environ 150 personnes ont été infectées en une cinquantaine de jours. Les autorités sanitaires ont pris plus d’un mois pour mettre en place des mesures de lutte. Dans notre cas, nous intervenons en moyenne en quatre jours (le temps d’identifier, d’enquêter et de préparer le traitement). Nous aurions alors enrayé l’épidémie.

Le virus du chikungunya provoque de petites épidémies dans les Antilles ces dernières semaines ; si l’épidémie se poursuit, nous aurons alors beaucoup de cas importés en métropole cet été, ce qui sera une première car nous avons « normalement » beaucoup plus de dengue et très peu de chikungunya.

Nous nous préparons à pratiquer de nombreuses interventions. La circulation de ces virus dans les territoires très connectés avec la métropole est évidemment un facteur de risque, nous surveillons donc la situation épidémiologique dans ces zones.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

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