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Les pieds sur Terre, la tête dans les étoiles… Thomas Pesquet témoigne

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JOL Press: Vous séjournerez à bord de la Station spatiale internationale en 2016 pour une durée de six mois. Est-ce un rêve d’enfant qui se réalise ?
 

Thomas Pesquet : Oui, j’ai grandi avec cette passion pour l’espace et les avions. Quand j’étais petit, je n’y connaissais rien du tout, c’était quelque chose qui me paraissait éloigné, voire irréel. Si on m’avait dit quand j’étais petit que je deviendrais un jour astronaute, je ne pense pas que je n’y aurais cru.  

JOL Press: Quels sont les critères qui ont fait peser l’agence spatiale européenne dans cette sélection extrêmement difficile ?
 

Thomas Pesquet : Tous les astronautes modernes répondent à trois grands critères : un parcours académique est assez conséquent, car nous évoluons dans un milieu très technique et scientifique, il faut donc avoir le bagage nécessaire pour le comprendre. Une expérience opérationnelle : les astronautes doivent avoir été confrontés à la vraie vie, en étant pilotes, scientifiques sur un volcan, ingénieur sur une plateforme pétrolière… Avoir été dans un environnement réel avec des décisions qui ont des conséquences. Enfin, troisième critère : le parcours international. Il faut avoir su s’exporter, parler plusieurs langues, mais aussi être ouvert à plusieurs cultures: les programmes spatiaux se déroulent en général toujours en coopération internationale.   

JOL Press : La psychologie de l’astronaute influe-t-elle dans ce choix ?
 

Thomas Pesquet : Evidemment, c’est un petit plus qui pèse lors de la sélection. Les missions d’aujourd’hui durent six mois dans la station spatiale internationale. Demain, ces missions seront encore plus longues peut-être vers Mars, dans un milieu exigu, confiné avec des gens que nous n’avons pas choisi. Promiscuité, fatigue, manque de confort… : il faut être capable de travailler en équipe, être patient, savoir écouter, être dépourvu d’agressivité. La psychologie peut-être le petit plus qui fait la différence.

JOL Press: Il s’agit de la première mission longue durée d’un Français dans l’ISS. En quoi consistera l’entraînement intensif jusqu’en novembre 2016 ?
 

Thomas Pesquet : La Station spatiale est composée de 13 modules : il faut donc se qualifier sur chaque module. Il est nécessaire de tout connaître par cœur pour être amené à être utilisateur, opérateur de la Station, mais aussi à la réparer. L’espace est un milieu très hostile, il faut être en mesure réparer s’il y a de la maintenance à faire, connaître tout cela sur le bout des doigts. Et ce n’est pas une mince affaire, car la Station se déploie sur 110 mètres sur 70 mètres, et 900 mètres cube de volume intérieur, grand comme un boeing 747.

JOL Press : La préparation sera également dédiée à la qualification sur le vaisseau Soyouz ?
 

Thomas Pesquet : Oui, il faudra effectivement se qualifier sur cette capsule spatiale, qui nous emmènera de Baïkonour jusqu’à l’ISS. C’est comme apprendre à piloter un avion de ligne, ce que j’ai connu avant. Il y aura d’abord la théorie, avant des séances de simulateurs de plus en plus difficiles avec des pannes de plus en plus complexes. Il y aura aussi l’entraînement en scaphandre, des sorties extravéhiculaires pour aller travailler à l’extérieur de la station, ainsi que l’entraînement à la robotique: un grand bras robotique articulé qui permet d’arrimer les vaisseaux de ravitaillement et déplacer des charges à l’extérieur de la station. Nous devrons également nous entraîner au programme scientifique que nous serons amenés à réaliser pendant six mois. Enormément de choses m’attendent dans les deux ans à venir…

JOL Press : L’apprentissage du russe fera-t-il partie de l’entraînement ?
 

Thomas Pesquet : Nous avons commencé très tôt à apprendre le russe : il n’est en effet jamais trop tôt pour commencer à apprendre une langue étrangère. Cela a été l’une des choses les plus difficiles que nous avons été amenés à faire avec mes collègues européens lors de notre entraînement initial à l’agence spatiale européenne. C’est absolument indispensable pour que nous puissions interagir avec les autres membres de l’équipage russe, parler à la radio avec le centre de contrôle de Moscou, et ne pas faire d’erreur dans la prononciation ou la compréhension.

JOL Press : Quel sera le programme de votre mission au sein de l’ISS ?  
 

Thomas Pesquet : Il est encore trop pour connaître le détail de ma mission… c’est dans plus de deux ans. Je sais cependant qu’il y aura de la recherche dans les domaines comme la médecine : nous étudierons notamment les virus en apesanteur qui deviennent plus virulents, afin d’essayer de déterminer des candidats potentiels pour des vaccins. Nous étudierons également le comportement des cellules en trois dimensions qui s’agglomèrent par exemple dans une tumeur, mais aussi les nanomatériaux, ou comment délivrer des médicaments au cœur d’un conglomérat de cellules. Ce travail sera rendu possible grâce à l’absence de gravité: nous pourrons ainsi observer des phénomènes qui sont masqués Terre. 

JOL Press : Un temps important est consacré à la maintenance, qu’en est-il du temps dédié à la recherche ?  
 

Thomas Pesquet : Depuis que nous sommes passés de trois à six membres d’équipage, nous avons pu augmenter de manière conséquente le temps dédié à la recherche. Nous essayons que les astronautes soient libérés un maximum des tâches d’entretien et de routine, des questions logistiques de tous les jours pour pouvoir se concentrer à la raison d’être de la station spatiale : la recherche. Aujourd’hui, quasiment 50% du temps des équipages est dédié à la recherche. Cela peut paraître peu, mais c’est en fait énorme, vu que nous passons deux heures de notre journée à faire du sport pour rester dans de bonnes conditions physique et qu’il y a énormément de maintenance et d’entretien à réaliser dans la station pour assurer la présence humaine.

JOL Press : Quelle est la plus grande crainte d’un spationaute ? 
 

Thomas Pesquet : Nous voulons être au maximum de ce qu’on peut faire. L’ESA nous a sélectionné en nous disant que nous avions le potentiel, c’est maintenant à nous d’utiliser le temps qui nous sépare de la mission en 2016, pour être au maximum de notre forme physique et en termes de connaissances. La seule crainte des astronautes est évidemment de faire une erreur au moment où il n’y a pas de filet…Tout le monde fait des erreurs, même les astronautes ! Nous n’avons pas peur du risque physique mais craignons de faire une erreur, de faire rater une expérience scientifique, ou de remettre en question la réussite d’une activité opérationnelle. Nous essayons d’éviter cela à tout prix, et c’est pour cela que nous nous entraînons très dur tous les jours.

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