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Migrants et étrangers: le Maroc face au racisme anti-Noirs

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« Je ne m’appelle pas ‘Azzi ‘[terme péjoratif qualifiant ‘un noir’] ». C’est cette phrase qui a été choisie pour la campagne lancée par onze organisations luttant contre le racisme et œuvrant pour l’inclusion des migrants au Maroc.

Une campagne qui intervient à l’occasion de la journée internationale contre le racisme, célébrée ce vendredi 21 mars, en souvenir du jour où la police avait tué 69 personnes lors d’une manifestation pacifique contre l’apartheid en Afrique du Sud en 1960.

JOL Press : L’enclave de Melilla a de nouveau été l’objet d’un assaut de migrants cette semaine. Assiste-t-on à une recrudescence de l’immigration clandestine au Maroc ?

Stéphane Julinet : On peut difficilement parler de « recrudescence ». Il n’existe pas de chiffres sur cette immigration clandestine qui, par définition, est un phénomène difficile à mesurer. On assiste cependant depuis quelques semaines à davantage de passages groupés dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc, mais il faut relativiser cette impression. Car s’il y a plus de tentatives de passage sur ces enclaves, c’est aussi parce que les voies maritimes sont aujourd’hui complètement fermées. Si l’on compare avec les années précédentes, sur le moyen terme, il y a globalement beaucoup moins de migrations irrégulières du Maroc vers l’Europe. Il y a quelques années, des milliers de personnes passaient par les Canaries ou le détroit de Gibraltar. Aujourd’hui, ces passages sont moins nombreux. On a donc une impression d’augmentation, mais c’est plutôt la concentration de ces migrants qui est plus importante.

JOL Press : Le Maroc a été – et est encore – une terre de transit vers l’Europe. Mais pourquoi beaucoup de migrants s’installent aujourd’hui au Maroc et ne font plus que « passer » ?

Stéphane Julinet : Cela fait quelques années que le Maroc est aussi une terre d’accueil, même si la prise de conscience de ce phénomène est assez récente. Les parcours migratoires sont néanmoins très différents et le Maroc n’est pas toujours une destination voulue par les migrants. Certains pouvaient vouloir aller en Europe mais n’ont pas réussi ou ont abandonné l’idée. D’autres migrants partent de chez eux, construisent leur trajet sur la route et sont prêts à s’arrêter dès qu’ils trouvent un endroit où ils peuvent s’établir avec un minimum de sécurité et de moyens. D’autres encore s’installent au Maroc et repartent s’ils voient qu’ils ne parviennent pas à vivre… C’est difficile de faire un « parcours type ».

JOL Press : Le Maroc a récemment décidé de mettre en place une politique d’accueil et de régularisation des migrants d’origine subsaharienne. Où en est cette initiative ?
 

Stéphane Julinet : Cette initiative a été lancée en septembre dernier. C’est à la fois la prise de conscience que le Maroc était devenu une terre d’accueil, et la volonté de la part du gouvernement de faire une opération de communication. Le Maroc était en effet de plus en plus soumis à des critiques au niveau interne mais aussi international. Ce n’est pas un hasard si le cabinet royal a annoncé que le roi accordait un accueil favorable aux recommandations du Conseil général des droits de l’Homme le jour où s’ouvrait à Genève la session du Comité pour la protection des droits des travailleurs migrants.

Malgré la bonne volonté affichée, on a quelques inquiétudes quant à la mise en place de cette initiative. Cette opération a commencé de manière assez rapide, dans la mesure où les administrations n’étaient pas forcément prêtes. Sur les 12 000 demandes de régularisation qui ont déjà eu lieu, seulement quelques centaines ont reçu des réponses favorables. Il y a énormément de raisons à cela : certains justificatifs sont impossibles à fournir par les migrants, il est très difficile pour un ressortissant étranger, particulièrement en situation irrégulière, de se marier avec un ressortissant marocain, les étrangers qui travaillent n’arrivent souvent pas à obtenir d’attestations de leur employeur, ils n’ont souvent pas de contrat de bail à leur nom… Vu la situation de précarité administrative et sociale dans laquelle ils vivent, ils sont incapables de fournir certains justificatifs.

En plus, il aurait fallu prendre un certain nombre de mesures pour créer un climat de confiance avant la mise en place de cette politique de régularisation, après des années de politique répressive en la matière. Certains craignent en effet que le fichage (nom, nationalité, âge) ne soit utilisé à d’autres fins, pour les renvoyer dans leur pays par exemple. Sans compter tous les problèmes pratiques au niveau des bureaux (problèmes d’interprétariat, personnels des guichets qui se permettent de regarder les dossiers et de les refuser, etc).

JOL Press : Quelles sont les principales discriminations dont sont victimes les migrants subsahariens au Maroc ?
 

Stéphane Julinet : Les discriminations touchent tous les domaines, aussi bien les droits civils et politiques que les droits sociaux et fondamentaux. Il est par exemple quasiment impossible pour une migrante qui accouche au Maroc de faire enregistrer son enfant à l’état civil. Ils subissent également des discriminations dans l’accès aux services de santé et aux soins, auxquelles s’ajoutent des problèmes de prise en charge financière de ces soins. Une difficulté qui s’est accentuée avec la généralisation du Ramed (le Régime d’Assistance Médicale), qui ne s’applique qu’aux Marocains et non aux étrangers.

Ils peuvent aussi subir des discriminations au niveau de l’accès au logement. Il y a notamment eu plusieurs cas de refus de location aux étrangers et en particulier aux migrants subsahariens. Un scandale avait notamment éclaté l’année dernière quand des affiches interdisant la location « aux Noirs et aux Africains » avaient été découvertes dans certains immeubles. Même lorsqu’ils arrivent à se loger, certains propriétaires profitent de la situation pour louer l’appartement plus cher que le prix normal du marché et il n’y a souvent pas de contrat de bail. L’accès à l’éducation est aussi compliqué, car on demande aux étrangers des documents d’identité qu’ils peinent à obtenir. Il y a cependant eu une circulaire au mois d’octobre pour permettre l’accès des enfants de migrants dans les écoles, mais elle a été très peu diffusée.

JOL Press : Que dit aujourd’hui la législation marocaine sur les agressions racistes ?
 

Stéphane Julinet : Concernant les agressions racistes, malheureusement, pas grand-chose. Concernant les propos incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence raciale, la législation prévoie des sanctions. Mais il n’y a souvent aucune poursuite – le cas des pancartes dans les immeubles interdisant la location aux Africains, alors que l’affaire avait fait beaucoup de bruit, n’a par exemple fait l’objet d’aucune procédure de la part de l’État public.

Concernant les violences racistes, il n’y a rien, le Code pénal ne prévoit pas de circonstance aggravante pour les délits commis pour un mobile raciste. Cela fait partie des choses sur lesquelles la législation est insuffisante. De même sur les actes discriminatoires, si le Code pénal prévoit bien une définition de la discrimination et son application dans un certain nombre de domaines, la définition ne correspond pas tout à fait à celle de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et le champ d’application est très restreint. Cela s’applique seulement dans quelques cas dans le domaine économique ou dans la fourniture de certains services. Il est surtout très difficile pour un étranger, en particulier s’il est en situation irrégulière, de faire valoir ses droits et de porter plainte auprès de la justice par exemple.

JOL Press : Le Maroc travaille-t-il en coopération avec l’Algérie ou la Tunisie sur ces questions ?

Stéphane Julinet : Il n’y a pas vraiment de coopération régionale sur ces questions. On connaît le contexte des relations entre ces pays, et le manque de coopération ne concerne pas seulement ces problèmes migratoires et de discrimlinations, mais bien d’autres sujets…

JOL Press : Quelle est la situation des migrants syriens venus se réfugier au Maroc ?
 

Stéphane Julinet : Leur situation est très difficile dans la mesure où, là encore, l’appréhension de la question par les autorités est purement sécuritaire. Lorsque les premiers réfugiés syriens sont arrivés, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui pallie l’absence de système national d’asile, avait commencé lui-même à enregistrer les demandes d’asile jusqu’à ce que le ministère de l’Intérieur marocain décide de s’en occuper lui-même. Mais il ne s’est rien passé.

Leur présence est tolérée sur le territoire mais ils n’ont aucun droit, ils se débrouillent par eux-mêmes comme ils peuvent. Le ministère de l’Intérieur craint qu’il n’y ait, parmi les réfugiés, des personnes trop proches du régime syrien ou au contraire trop proches de certains courants de l’opposition sunnite jihadiste. La seule activité des autorités à leur égard, c’est leur surveillance, d’où la situation à laquelle on assiste : beaucoup de réfugiés syriens sont réduits à la mendicité à la porte des mosquées, et on les menace souvent d’expulsion au motif qu’ils créent un trouble à l’ordre public.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Stéphane Julinet est responsable juridique du Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM), basé au Maroc.

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