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Miliciens du M23 : « Être dans le maquis est pour eux une profession »

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JOL Press : Sur quel terreau géopolitique est né le M23 ?
 

Pierre Jacquemot : Ce mouvement est issu d’un courant ancien dans le Nord Kivu et les Grands Lacs, une région à l’Est de la République démocratique du Congo. Ce courant est né au milieu de populations rwandophones, plutôt originaires de l’ethnie Tutsi. Ils se sont armés et constitués en milice dans les plaines du Nord Kivu. Ils menaient des opérations contre les anciens génocidaires d’origine Hutu.

Au Rwanda, deux ethnies majoritaires s’affrontent, les Hutus et les Tutsi. Les premiers, alors au pouvoir en 1994, ont commis un génocide contre les seconds, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Par la suite, lorsque les troupes de Paul Kagamé (actuel Président du Rwanda) ont pris le pouvoir, beaucoup de Hutus ont fui, ont franchi la frontière de la RDC et se sont installés au Congo, certains dans des camps de réfugiés, d’autres dans les montagnes. Une partie de ces Hutus avait commis des actes d’une rare violence durant le génocide. Ils ont constitué un groupe en vue de reprendre le pouvoir à Kigali (Rwanda).

Dans le même temps, d’autres populations rwandophones, plutôt d’origine Tutsi, avaient entrepris de neutraliser ces anciens génocidaires. La situation était donc particulièrement conflictuelle et violente.

Les rebelles d’origine Tutsi avaient probablement un soutien du gouvernement rwandais, dans le but de pourchasser les anciens génocidaires. A l’époque, les Casques bleus de l’ONU étaient là pour séparer les protagonistes. Mais ils n’étaient pas très efficaces. En mars 2009, la communauté internationale a dénoncé le Rwanda dans son appui aux rebelles Tutsis.

JOL Press : Comment la situation s’est-elle envenimée, au point que les rebelles Tutsis se regroupent dans ce mouvement – très actif – du M23 ?
 

Pierre Jacquemot : A peu près au même moment, les troupes rwandaises avaient été aperçues en territoire congolais. Outre leur soutien aux rebelles Tutsis, ils menaient donc, sur le territoire congolais, des opérations contre le FDLR (milice Hutu regroupant les anciens génocidaires). Le malaise était donc important, et divisait l’appareil politique congolais. Un accord fut donc passé en mars 2009 entre Kabila et les rebelles Tutsis, pour que ceux-ci intègrent l’armée régulière. C’est une solution courante pour résorber ce type de rébellion (on a pu le voir au Mozambique ou au Liberia).

Mais les revendications des Tutsis, civiles comme militaires, étaient extravagantes, et l’accord fut annulé. C’est à cette occasion que le M23 se constitua, avec des individus pour qui être dans le maquis était véritablement une profession !

Pendant trois ans, le M23 fut donc une cause d’insécurité dans cette région du Kivu. D’autant plus qu’il était toujours soutenu, d’après les rapports des Nations Unies, par le Rwanda. Le Gouvernement rwandais se cachait derrière le « prétexte » du génocide pour cautionner ce soutien.

JOL Press : Le procès français des génocidaires, qui se tient actuellement à Paris, peut-il enflammer de nouveau la situation au Kivu et remobiliser des mouvements comme le M23 ?
 

Pierre Jacquemot : Pas vraiment, parce que le M23 pourrait se satisfaire de voir les anciens génocidaires se faire condamner par la justice française. Qui plus est, des condamnations antérieures ont déjà eu lieu, par les Belges, ou le Gouvernement rwandais lui-même.

En revanche cela pourrait susciter des réactions auprès des rebelles Hutus du FDLR. Mais ils sont tellement aux abois qu’ils ne peuvent plus faire grand-chose. D’autant plus que la mission de l’ONU peut aujourd’hui jouer un vrai rôle militaire.

La MONUSCO est le contingent de Casques bleus le plus important au monde. Ils sont là depuis une dizaine d’années. Or il y a toujours eu des violences, ce qui met en cause leur efficacité. Néanmoins, jusqu’ici ils étaient une force d’interposition et de maintien de la paix. Or, depuis deux ans, le mandat des Nations Unies a changé, et permet à la MONUSCO de devenir une force d’intervention : ils peuvent conduire des actions directement contre les groupes rebelles. Le cas où le M23 entrait dans Goma (en 2012) sous le regard passif des Casques bleus ne pourrait plus arriver aujourd’hui.

JOL Press : Malgré la dissolution officielle du M23 l’an dernier, l’un de ses chefs, le Pasteur Runiga a annoncé la participation du mouvement au gouvernement d’unité nationale, sur la base des lois d’amnistie prononcées en RDC par Joseph Kabila. Le M23 existe-t-il encore, et est-il amené à jouer un rôle dans l’avenir ?
 

Pierre Jacquemot : Le M23, sous cette appellation ou une autre, continuera d’exister tant qu’il y aura des Hutus et des Tutsis en territoire congolais. Le terreau pour la réapparition de ce type de groupes est extrêmement favorable. D’ailleurs, ils existaient déjà avant, sous un autre nom : le M23 était avant le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple). En outre, le Rwanda joue à un jeu de déstabilisation permanente à sa frontière avec la RDC, et tire les ficelles des groupes armés pour entretenir une situation d’insécurité dans le Kivu. Les raisons en sont économiques (contrôle des mines d’or) et politiques (chasse aux anciens génocidaires).

Par ailleurs, au sein du M23 coexistent un appareil militaire et un autre civil, tous deux très actifs. Et cette branche civile entretient aussi l’existence de la partie militaire.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Pierre Jacquemot est un ancien ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RDC). Ancien directeur du développement au Ministère français des affaires étrangères, il est aujourd’hui Maître de conférences à Sciences Po Paris et chercheur associé à l’Iris. Il est également Président du Groupe de recherches et d’échanges technologiques (GRET).

Il a publié plusieurs ouvrages, dont Économie politique de l’Afrique contemporaine (Armand Colin, 2013).

 

 

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