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Municipales: la présidentielle se gagne-t-elle au niveau local?

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L’ancrage local est-il capital pour être un bon candidat à l’élection présidentielle ? (Crédit: shutterstock.com)

Les municipales approchent et déjà certains candidats espèrent confirmer leur implantation locale en vue des présidentielles. Force est de constater qu’il serait difficile d’imaginer un candidat se présenter alors même qu’il n’a pas réussi à se faire élire maire dans sa ville mais l’ancrage locale est-il pour autant indispensable ? La ville, le département ou la région sont-ils des laboratoires qui permettraient à ces élus de montrer ce dont ils seraient capables de faire à l’échelle nationale ? Eléments de réponse avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Est-il si important pour un futur candidat à la présidentielle d’être bien implanté localement ?

Philippe Braud : Il est important que la famille politique d’un candidat à la présidentielle soit bien implantée localement parce que les maires et les députés sont des relais d’opinion. En revanche, je ne crois pas que le candidat à la présidentielle doive être obligatoirement bien implanté localement. Ce qui compte c’est d’avoir une stature nationale, une très forte notoriété et si possible une forte crédibilité. Cette crédibilité peut être véhiculée par un bon ancrage local – la mairie de Paris a été le marchepied de l’élection présidentielle pour Jacques Chirac – mais il est arrivé aussi qu’un présidentiable soit élu sans être implanté localement.

Ce qui pèse c’est le statut national, l’expérience gouvernementale ou tout simplement le fait d’avoir été désigné candidat par le principal parti d’opposition. Certes la légitimité est indispensable, mais elle ne passe pas nécessairement par des élections locales. Pour être légitime, il faut avoir acquis une crédibilité, réelle ou supposée, et une vraie popularité. Mais en général, un présidentiable a déjà franchi les étapes du cursus honorum démocratique, il a souvent été maire, député ou ministre. Sous la Ve République, un grand nombre d’anciens Premiers ministres ont été candidats à l’élection présidentielle.

JOL Press : Prenons l’exemple de François Bayrou : s’il échoue à Pau, peut-il espérer prétendre à nouveau à la magistrature suprême ?

Philippe Braud : Qu’il gagne ou qu’il perde à Pau, ce n’est pas très important. Ce qui importe c’est qu’il se soit présenté deux fois à l’élection présidentielle et que la deuxième fois il ait été battu plus largement que la première. Il a désormais une sorte de réputation de « perdant » qui lui colle à la peau. Il est évident que s’il devait échouer à Pau, cela aggraverait encore son image mais s’il remporte l’élection, cela ne lui donnera pas de souffle extraordinaire.

JOL Press : Après son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy n’a pas tenu à s’implanter localement. Cela rendra-t-il son retour éventuel plus difficile ?

Philippe Braud : Quand on a été président de la République, on peut se permettre de ne briguer aucun mandat. On n’est jamais aussi populaire, quand on a acquis une grande notoriété, que lorsqu’on n’est plus aux affaires. On ne peut plus être critiqué et son image lointaine s’embellie. Nicolas Sarkozy a tout intérêt à se déclarer le plus tard possible sans se faire oublier, il doit trouver le dosage savant entre les piqûres de rappel auprès de l’opinion publique et une certaine discrétion. La meilleure chose qu’il pourrait faire serait de ne pas revenir avant six mois ou un an de l’échéance présidentielle. Dans le cas d’un ancien président de la République ou d’un ancien Premier ministre, l’ancrage local n’a aucune importance parce que sa légitimité se résume avant tout à son expérience des affaires.  

JOL Press : De manière générale, qu’apporte l’expérience locale à un candidat à l’élection présidentielle ?

Philippe Braud : En début de carrière politique, avoir une expérience des affaires locales est à la fois utile mais aussi bon pour la construction de l’image. Je parle-là d’une expérience locale significative : être maire d’une commune de mois de 5000 habitants n’apporte pas grand-chose, en revanche, avoir été maire d’une ville moyenne et avoir réussi à se faire élire au 1er tour, donne une présomption de légitimité nationale. Le mandat local donne aussi une certaine expérience de la gestion des affaires publiques qui est beaucoup plus importante lorsqu’on est maire d’une très grande ville.

Etre maire de Bordeaux, de Marseille ou de Strasbourg ne suffit pas à s’imposer comme candidat national crédible à la présidentielle. C’est toujours bien mais ce n’est pas suffisant. Rien ne remplace l’expérience gouvernementale : mieux vaut avoir été plusieurs fois ministre que maire de Lyon ou de Marseille. Prenons le cas d’Alain Juppé, ce n’est pas en tant que maire de Bordeaux qu’il apparaît comme ayant une forte crédibilité mais en tant qu’ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères.

JOL Press : La présidentielle ne se jouera donc pas en mars prochain…

Philippe Braud : L’élection municipale joue un rôle faible dans l’élection présidentielle. Le soir du 2nd tour des municipales, si la gauche subit un échec cuisant, les commentaires dans la presse et dans la classe politique y verront un avertissement, voire une humiliation, voire l’annonce d’un échec à la présidentielle, alors que ces résultats n’auront pas d’impacts en 2016 et 2017 parce qu’ils seront oubliés. Ceci étant, si la gauche perd de grandes villes comme Lyon ou Lille – ce qui paraît relativement improbable – il y aura, malgré tout, des conséquences parce que les grandes villes demeurent des repères d’opinion, à la différence des moyennes et des petites villes.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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