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Municipales: pourquoi «la parité s’arrête là où le pouvoir commence»?

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Seules 17,1 % des têtes de liste aux élections municipales sont des femmes (Crédits shutterstock.com)

Pour les élections municipales, 82,9% des têtes de liste sont des hommes, a souligné, jeudi 13 mars, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), notant que « la parité s’arrête là où le pouvoir commence ». Décryptage de la situation avec Réjane Sénac, présidente de la commission parité du HCEfh. Entretien.

JOL Press : Si les conseils municipaux et les conseils régionaux sont composés quasiment d’autant de femmes que d’hommes élus mais le partage du pouvoir n’est pas encore d’actualité. Comment l’expliquer ?

Réjane Sénac : 70 ans après le droit de vote et d’éligibilité des femmes (21 avril 1944) – par une ordonnance et non par un vote parlementaire – le bilan est que le pays des droits de l’Homme a dû en passer par des actions positives afin de remettre en cause les discriminations structurelles excluant les femmes du pouvoir. De la réforme constitutionnelle de 1999 jusqu’à la loi du 17 mai 2013, les contraintes légales sont de plus en plus fortes. La loi de mai 2013 a ainsi abaissé le seuil de la contrainte paritaire aux communes de 1000 habitants et plus (contre 3500 habitants auparavant) et étend l’application de la parité des candidates aux élections intercommunales. Il est à noter que quand la loi est muette, en particulier concernant les têtes de listes et têtes d’exécutif, il y a une inertie de la virilité du pouvoir.

Dans la note « 1944-2014 : les élections municipales et intercommunales au prisme de la parité »[1] que j’ai rédigée avec Janine Mossuz-Lavau pour le CEVIPOF, nous analysons le caractère inachevé de la parité. La démocratie présente un visage de Janus en ce qui concerne le partage sexué du pouvoir. En effet, si le gouvernement, les communes et les régions sont composés d’autant de femmes que d’hommes politiques, le président de la République, le Premier ministre et trois présidents d’assemblée (Assemblée nationale, Sénat, CESE) et 86% des maires sont des hommes.

Cette inertie de la virilité du pouvoir, malgré une égalité de droit et les lois dites sur la parité, relève et révèle d’un sexisme constituant. La République française a été construite et fondée sur l’exclusion des femmes de l’espace public et de la citoyenneté active. Le suffrage universel a ainsi été, pendant près d’un siècle, unisexué. Le peu de controverse sur notre devise -liberté, égalité, fraternité- est significatif. Il faut libérer l’égalité de la fraternité. On a coupé la tête du roi, mais pas encore celles des pères et des frères. La sacralisation de nos grands hommes et de nos idéaux républicains empêchent de percevoir que la persistance des inégalités, en particulier entre les sexes, reposent une égalité d’entre-soi excluant celles et ceux qui sont définis comme différent-e-s.

JOL Press : Seules 17,1 % des têtes de liste aux élections municipales sont des femmes. Comment faire évoluer ce chiffre ?

Réjane Sénac : Ce chiffre montre qu’il n’y a pas de pente naturelle vers le partage du pouvoir et l’égalité. L’argument selon lequel le partage du pouvoir sera « naturel » lorsque les femmes seront présentes dans le vivier des élus est démenti. En effet, le fait que les conseils municipaux et régionaux soient composés quasiment d’autant de femmes que d’hommes n’entraînent pas un partage des têtes de liste et d’exécutif. La résistance au partage sexué du pouvoir peut être associée à des crispations individuelles de conservation du pouvoir, en particulier par le cumul des mandats dans le temps, mais il peut, plus largement, est associé à un inconscient collectif.

En effet, si la lutte contre les inégalités salariales et les violences font consensus transpartisan,  la définition de ce que doit être une femme et un homme fait polémique. En ce qui concerne le partage du pouvoir, si l’exigence paritaire fait aujourd’hui peu débat, l’homme politique reste encore associé  à une figure paternelle et non maternelle.

JOL Press : 70 % des Français souhaitaient plus de femmes maires. Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui le processus ?

Réjane Sénac : Les électeurs votent pour les listes qui sont constituées par les partis politiques. Le fait que seulement 17,1 % des têtes de liste aux élections municipales soient des femmes (contre 16,5% en 2008), laisse peu d’espoir sur une évolution de la proportion de femmes maires (13,8% en 2008).  Afin de remédier à ce qui peut être qualifié de discriminations indirectes et structurelles véhiculé en particulier par les investitures au sein des partis politiques, le rapporteur du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes, le député socialiste Sébastien Denaja a porté un amendement imposant que la tête d’exécutif (maire ou président de région) ne soit pas du même sexe que le premier adjoint ou le premier vice-président.

JOL Press : La loi est-elle l’unique solution pour faire évoluer les mœurs en politique ?

Réjane Sénac : Je ne suis pas dans un clivage loi vs. mœurs, je crois vraiment que les lois sont les reflets des normes et les portent. Il faut donc travailler à long et à court terme. On ne doit pas voir les lois comme des contraintes extérieures, mais comme l’expression de ce qui est jugé légitime ou illégitime. En ce qui concerne les lois dites sur la parité, leur application incarne une norme ambivalente entre redistribution plus égalitaire des places et recomposition d’une complémentarité des sexes contradictoire avec une reconnaissance des femmes comme des égales, des « pairs ».

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

[1] http://www.cevipof.com/fr/les-publications/notes-de-recherche/bdd/publication/1178

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