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Municipales: vers l’émergence d’une nouvelle génération Le Pen?

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A Hénin-Beaumont, Steeve Briois, a été élu au premier tour avec 50,26 % des voix. A Béziers, Robert Ménard, soutenu par le FN et Debout la République, est arrivé largement en tête (44,7 %) devant Elie Aboud (29,4 %), candidat UMP-UDI-MoDem. A Perpignan, Louis Aliot, vice-président du FN, est arrivé aussi en tête avec 33% des voix contre 30,2% pour Jean-Marc Pujol, le maire UMP sortant. A Forbach, avec un total de 35,75 % des suffrages, Florian Philippot a devancé le député-maire socialiste Laurent Kalinowski (33 %). A Frejus, David Rachline, avec 40,30 % des voix, s’est placé loin devant le candidat UMP Philippe Mougin (18,85 %). Et A Saint-Gilles, dans le Gard,  Gilbert Collard soutenu par le Front national, a terminé largement en tête du premier tour, avec 42,57 %.

De tels résultats était-il prévisible ? Une nouvelle génération est-elle en train de se constituer qui ne voit pas où est le problème de voter pour le FN ? Eléments de réponse avec Christian Delporte, historien et spécialiste de la communication politique.

JOL Press : Pouvait-on s’attendre à une telle progression du front national ?

Christian Delporte : Cela fait des mois que l’on s’attend à une percée du Front national, elle était annoncée dans la presse et dans le discours politique, aujourd’hui elle est concrète. Il n’y a pas de grande surprise dans ces résultats du 1er tour des municipales, peut-être que cette percée a été, pour certains, plus forte qu’attendue mais elle était d’autant plus prévisible que le gouvernement est impopulaire et que les élections municipales n’ont pas de véritables enjeux nationaux. Cette percée risque cependant de se confirmer, de manière encore plus importante, lors des élections européennes.

JOL Press : Comment expliquer le vote des jeunes pour le FN ? Selon un sondage Polling vox pour l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), plus d’un jeune sur deux (55%) envisageait, en novembre dernier, le vote FN aux municipales comme une possibilité.

Christian Delporte : C’est compliqué d’étudier le phénomène « des jeunes », qui ne peuvent naturellement pas être mis tous dans le même sac. Dans les années 60 ou 70, quand on voulait voter contre le système, on votait pour le Parti communiste. Le Parti communiste a disparu. Aujourd’hui, on a une attitude contestataire quand on vote pour le Front national. Voter FN apparait pour certains comme une manière de se rebeller contre le système. Ce qui est certain, c’est que les jeunes ne sont plus habités par ce tissu idéologique révolutionnaire qui était très présent dans les années 70. Et ce vide, le FN tente de le combler.

Il est cependant nécessaire de souligner que ce premier tour a été marqué par une abstention record pour des élections municipales et en particulier chez les jeunes : selon l’institut Ipsos/Steria, seuls 41 % des 18-24 ans seraient allés voter.

JOL Press : Le 21 avril 2002 est bien loin, surtout pour les jeunes électeurs. Une nouvelle génération est-elle en train de se constituer qui ne voit pas où est le problème de voter pour le FN ?

Christian Delporte : C’est possible que cette nouvelle génération d’électeurs ait moins de culture politique, il est vrai aussi que la façade offerte par Marine Le Pen n’est pas la même que celle qu’offrait son père. Elle a banalisé le Front national et elle a brouillé, de manière assez intelligente, les repères en reprenant un certain nombre de thèmes présents dans d’autres familles politiques, y compris à l’extrême-gauche. On n’est plus à une époque où on votait en fonction d’un positionnement idéologique et où on avait une idée extrêmement précise de ce qu’était l’échiquier politique. Je pense qu’une partie de l’électorat, en votant Front national, n’a pas eu l’impression de voter pour un parti d’extrême-droite. Dans les années 80, il n’y avait pas de doute là-dessus.

JOL Press : Comment expliquer cette banalisation du vote FN ?

Christian Delporte : Cette banalisation vient de la confusion des positionnements des partis qui conduit les Français à se dire que droite et gauche au pouvoir, c’est à peu près pareil. Et puis il y a l’habileté de Marine Le Pen qui arrive à exploiter cette confusion. Il ne faut cependant pas exagérer la forte progression du Front national. Car si le FN est parvenu à de tels scores c’est au terme d’un travail qui a duré des années ou des dizaines d’années. Le cas d’Hénin-Beaumont est assez caractéristique à cet égard. Les militants ont travaillé le terrain, se sont enracinés localement et un jour cette stratégie porte ses fruits.

JOL Press : N’y a-t-il pas de la part de la classe politico-médiatique une négation de la réalité du vote FN ?

Christian Delporte : Certes les sondages n’ont rien vu pour Marseille, ils avaient en revanche constaté une tendance très nette en faveur de Steeve Briois à Hénin-Beaumont. Le Front national est constamment cité dans le discours politique mais les deux grands partis de gouvernement utilisent le FN comme une arme contre l’autre, au lieu de chercher les causes de cette progression du FN. Ce n’est pas pour autant que le vote FN est nié. Du côté du Parti socialiste, on assiste à des campagnes contre le FN, par exemple. Et à l’UMP, on a conscience des problèmes que causent le FN, surtout à la droite de la droite du parti.

JOL Press : Peut-on dire que Maine Le Pen a fait du FN une entreprise de communication ?

Christian Delporte : Certainement. En rompant avec les excès verbaux de son père, Marine Le Pen a soigné sa communication. On l’a encore constaté au soir du 1er tour, la présidente du FN communique très bien, elle fait très attention à ce qu’elle dit, elle sait cibler le public auquel elle s’adresse, a su rendre son parti respectable et développe des formules qui sont compréhensibles par tout le monde, en simplifiant des concepts compliqués. Marine Le Pen a réussi à faire ce que son père n’était pas parvenu à obtenir : elle a fait du FN un parti comme un autre. Le FN est même considéré par un grand nombre de personnes comme un parti républicain.

JOL Press : Quelle est aujourd’hui la parade du PS et de l’UMP face à la progression du FN ? Comment ont-ils l’intention de contrer cet adversaire qui leur fait peur ?

Christian Delporte : Je pense que dans l’immédiat, ils le parviendront pas à stopper sa progression. De quoi se nourrit le Front national, sinon de la pauvreté, de la misère, de la désespérance des Français ? Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, ils ne parviendront pas à se débarrasser du FN. Une erreur fondamentale a été faite pendant des années qui consistait à croire que l’extrême droite en France était un accident de l’histoire, alors que l’historien que je suis sait que l’extrême-droite est un élément structurel de la vie politique française.

La seule réponse à apporter face à la progression du FN est moins politique qu’économique et sociale. Plus il y aura un fort taux de chômage, du mal-logement ou des tensions sociales, plus le FN progressera. En période de prospérité économique, le FN est au plus bas, il ne monte qu’en période d’extrême difficulté. Les partis de gouvernements doivent faire la démonstration que quand on est au pouvoir on est efficace. L’argument de Marine Le Pen consiste à dire : « Vous avez vu la gauche et la droite au pouvoir, essayez le Front national ». Face aux échecs successifs et aux promesses non tenues le FN apparait comme une porte de sortie.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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