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Peine de mort: Amnesty dénonce la hausse des exécutions politiques

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L’Iran et l’Irak sont à l’origine d’une forte augmentation du nombre d’exécutions dans le monde en 2013 (Crédits: shutterstock.com)

Le nombre alarmant d’exécutions dans un groupe restreint de pays s’est traduit par près d’une centaine d’exécutions supplémentaires dans le monde par rapport à 2012, soit une augmentation de presque 15 %, estime Amnesty International dans son rapport annuel sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde, publié ce jeudi 27 mars. « Seul un petit nombre de pays sont responsables de la grande majorité de ces meurtres d’État qui n’ont aucun sens », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International. « Ces pays ne peuvent défaire les progrès déjà réalisés de manière générale en faveur de l’abolition. »

JOL Press : Les condamnations à mort pour des raisons politiques sont-elles en augmentation dans le monde ?

Anne Denis : C’est très souvent difficile à dire. En Iran, par exemple, on peut condamner à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu ». Ce motif est compliqué à définir et on peut penser qu’il sert à éliminer des minorités comme les Arabes, les Kurdes ou les Balouches. La plupart des arrestations de Kurdes sont politiques. En Iran, 80% des condamnations et des exécutions ont pour motif le trafic de stupéfiants, il n’est donc pas interdit de penser que l’on accuse facilement les opposants politiques au régime de trafic de drogue. Connaître les motifs des condamnations à mort dans ces pays et savoir si elles sont en augmentation à travers le monde est donc malaisé à établir. On peut toujours masquer la véritable raison d’une condamnation sous des motifs plus neutres.

Dans la plupart des pays, comme aux Etats-Unis, ce ne sont que les meurtres avec préméditation qui entraînent les condamnations à mort. En Chine, plus de 50 crimes ou délits peuvent entraîner une condamnation à mort. Depuis 2009, Amnesty International ne donne plus de chiffres sur la Chine, puisque les condamnations et les exécutions appartiennent au secret d’Etat, mais nous avons appris que des tribunaux locaux ont condamné à mort et ont fait exécuter des personnes qui étaient en désaccord avec des autorités sur place. Si nous manquons de précisions, nous sommes certains que ces pratiques sont courantes en Chine, puisqu’on estime à plusieurs milliers le nombre d’exécutions chaque année.

JOL Press : Quels sont les pays les plus préoccupants en matière de peine de mort pour des raisons politiques ?

Anne Denis : La Chine et la Corée du Nord ont des prisonniers politiques. On a su que l’oncle de Kim Jong-un avait été exécuté, mais plus tard on apprenait que c’est toute la famille de Jang Song-Thaek qui avait été exécutée. Dans des pays ou le secret est total, on peut craindre que ce genre d’exécution ne soit pas des éléments isolés. On ne connaît pas les motifs de condamnation, on ne sait pas non plus combien sont exécutés chaque année.

On apprenait lundi soir la condamnation à mort par un tribunal égyptien de 529 partisans du président renversé Mohamed Morsi, au terme de deux jours de procès. Mais on n’exécute pas de façon massive en Egypte, pour 100 condamnations, 10 aboutiront sur des exécutions. La condamnation à mort peut être un moyen de réduire au silence des opposants. Dans les pays en crise, c’est toujours très difficile de faire la part des choses entre les crimes de droits communs, qui pourraient entraîner la peine de mort dans un certain nombre de pays, et les crimes supposés des opposants politiques. On ne condamne plus pour des raisons politiques, c’est un peu dépassé, mais on trouvera toujours d’autres raisons pour faire taire un opposant.

JOL Press : Dans quels pays le politique et le religieux sont si intimement liés qu’on peut être condamné à mort pour blasphème ou adultère ?

Anne Denis : Au Pakistan, les personnalités politiques qui se sont opposées à la loi sur le blasphème ont été assassinés. Là, nous avons affaire à des exécutions extra-judiciaires. En ce moment, le Pakistan a arrêté d’exécuter les condamnés. Depuis l’année dernière, aucune condamnation à mort n’a été à déplorer car la pression internationale est trop importante.

JOL Press : En 2013, 778 exécutions ont été signalées dans le monde, ce qui représente une augmentation de près de 15 % par rapport à 2012. Comment réagissent les peuples dans les pays les plus touchés par cette augmentation ?

Anne Denis : Dans des pays où il y du secret, les gens ne réagissent pas vraiment parce qu’ils ne sont pas informés. En Iran, on a cru que l’arrivée du nouveau président Hassan Rohani, en août 2013, allait changer les choses. Il y a eu quelques libérations, dont un condamné à mort, mais nous avons vite compris que ce n’était que de la poudre aux yeux. Les manifestations contre la peine de mort sont très rares dans ce genre de pays. Quand on risque d’être soi-même condamné à mort, on ne cherche pas à se faire remarquer. En Chine, cependant, on a vu des gens manifester contre la peine de mort, mais c’est rare.

JOL Press : Quels sont aujourd’hui les recours d’un prisonnier politique condamné à mort ?

Anne Denis : Tout dépend de la législation du pays. En Egypte, par exemple, toutes les condamnations à mort doivent être confirmées par le mufti et je serais étonnée si le mufti venait à confirmer les condamnations des 529 partisans de Mohamed Morsi, alors qu’elles ont été prononcées au cours d’une audience unique et en l’absence d’un grand nombre de personnes concernées. Certains pays ne prévoient aucun recours en grâce, d’autres peuvent exécuter très rapidement après la condamnation. L’année dernière, dans un pays d’Afrique sub-saharienne, un tribunal militaire avait condamné des civils et les avait exécutés quatre heures après.

JOL Press : Que penser, dans ce contexte, de la visite d’Etat du président chinois Xi Jinping à Paris ?

Anne Denis : Nous avons adressé un mémorandum aux autorités françaises, afin d’exprimer nos préoccupations face aux violations de droits humains en Chine. On a demandé aux autorités françaises de mettre à l’agenda de leurs discussions ces sujets de préoccupations et en particulier la question de la peine de mort, les restrictions en matière de liberté d’expression et le rôle que joue la Chine vis-à-vis de la Corée du Nord. Les autorités françaises reviennent souvent sur leur volonté de faire disparaître la peine de mort à travers le monde, et François Hollande l’a répété à de nombreuses reprises, mais il faut croire que ces discussions ne seront pas au menu de la rencontre entre Xi Jinping et le chef de l’Etat.

Suite à l’examen périodique universel – mécanisme utilisé par le Conseil des droits de l’homme pour passer régulièrement en revue le bilan de chacun des 192 États membres de l’ONU en matière de droits humains au regard de ses engagements et obligations en la matière – la Chine a rejeté, en octobre dernier, tout projet d’abolition de la peine de mort, car les Chinois n’y serait pas favorables. Mais les Chinois ignorent ce qui se passe réellement. C’est pourquoi nous demandons avant tout aux autorités chinoises de lever le secret sur cette question afin que la société chinoise ait connaissance des procès inéquitables et des aveux forcés. Alors les Chinois changeront certainement d’avis sur la question.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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