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Pourquoi la Libye est au cœur des préoccupations diplomatiques

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JOL Press : Jeudi 6 mars, la deuxième conférence internationale sur la Libye doit se tenir à Rome. Quel est le but de cette conférence ?
 

Saïd Haddad : La deuxième conférence internationale sur la Libye, qui se tient à Rome, doit examiner la situation politique et sécuritaire dans ce pays. Elle doit se pencher également sur les modalités de soutien que la communauté internationale – les pays participant à cette conférence – peut mettre en œuvre à destination de la Libye. L’objectif principal étant d’aider les autorités intérimaires à assurer une transition réussie.

Ce défi passe par l’édification d’un État de droit, la mise en place d’une véritable armée régulière et d’une police permettant le rétablissement de la sécurité aussi bien à l’intérieur qu’aux frontières du pays, l’instauration d’un véritable dialogue national entre les différents centres de pouvoir dans ce pays sans oublier la relance d’une économie fortement dépendante du pétrole, mise à mal par le bras de fer entre Tripoli et des acteurs se proclamant fédéralistes. À ces dimensions internes s’ajoute le risque que fait peser sur la région une Libye instable. C’est dans ce contexte très incertain, voire confus que va se tenir la conférence.

JOL Press : Pourquoi est-elle organisée maintenant ?
 

Saïd Haddad : Cette conférence est dans le prolongement de la première conférence ministérielle de soutien à la Libye qui s’était tenue à Paris, en février 2013. Cette conférence avait adopté deux plans, l’un portant sur le développement de la sécurité nationale et l’autre concernant la justice et l’État de droit. Un an plus tard, les impératifs sont identiques. Si ce n’est que la situation est devenue plus délicate avec un accroissement de la violence dans ce pays, aucune région n’étant épargnée, ni aucune personnalité politique comme en témoignent les divers assassinats ou l’enlèvement du Premier ministre Ali Zeidan, pour quelques heures, en octobre 2013.

Les autorités intérimaires peinent également à s’imposer face aux milices qui se sont autonomisées par à rapport à Tripoli et qui poursuivent leur propre agenda. Cette conférence intervient donc dans un climat dégradé mais également de grande inquiétude face à la reconfiguration en cours des forces djihadistes depuis la chute du régime de Kadhafi et des évènements du Mali dans la zone sahélo-saharienne.

JOL Press : On sait déjà que les chefs de la diplomatie de la Russie, des États-Unis, de la France, de l’Italie et de la Grèce seront présents à cette conférence. Pourquoi ces pays seront-ils représentés ?
 

Saïd Haddad : La plupart des participants – ainsi que les organisations internationales – ont été présents lors de la Conférence précédente. Membres influents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, pays voisins de la Libye, pays riverains du nord de la Méditerranée – dont la Grèce qui préside pour six mois l’Union européenne – ou pays favorables à la Révolution du 17 février, à l’instar du Qatar. Cette forte participation attendue témoigne des inquiétudes des pays limitrophes et des pays occidentaux face à l’instabilité que connaît la Libye.

JOL Press : La possibilité d’une opération internationale dans le sud libyen a été plusieurs fois évoquée ces dernières semaines. Cette question pourrait-elle figurer à l’ordre du jour de cette conférence? Cela vous pourrait-il envisageable pour le moment ?
 

Saïd Haddad : A priori, l’éventualité d’une opération internationale ne fait pas partie de l’ordre du jour. Elle a certes été évoquée plusieurs fois et elle est à la mesure des inquiétudes des pays de la région, ainsi que des puissances extrarégionales.

La situation au sud de la Libye (qui a aussi des déterminants internes) est en quelque sorte la contre réplique de la chute de la Jamahiriya [la Libye de Kadhafi], la réplique étant l’affaire malienne. Une intervention poserait la question de sa légitimité (sous quel mandat s’effectuerait-elle ?) et de sa faisabilité (qui interviendrait ?). Elle risquerait surtout de créer un abcès djihadiste au sud de ce pays. Et de faire de cette zone, qui est une zone de refuge et de base arrière des groupes djihadistes provenant du Mali notamment, une terre de djihad.

JOL Press : Où en est l’élection de la Commission des Soixante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution en Libye ?
 

Saïd Haddad : Seuls 47 des 60 sièges ont été pourvus lors des élections du 20 février 2014. Les violences – notamment à l’est du pays, comme à Derna par exemple – et le boycott des Amazighs [berbères] n’ont pas permis la tenue des élections dans tout le pays. Si le boycott des Amazighs était connu de longue date, ce qui fait que les sièges à pourvoir étaient de 58, la tentative d’organiser de nouvelles élections, le 27 février, dans les zones où elles n’avaient pu avoir lieu a été un échec.

La participation a été en retrait par rapport aux élections législatives de juillet 2012, ainsi que le nombre d’inscrits et le scrutin a eu lieu dans un climat de résignation et de désillusions sur fond de violence. La démission du président de la Haute commission nationale aux élections, chargé de suivre le bon déroulement de ce scrutin, témoigne de cet échec. Se pose peut-être la question de la légitimité et du poids de cette assemblée.

JOL Press : Des dizaines de manifestants ont envahi les locaux du Congrès général national (CGN) dimanche soir à Tripoli. Pourquoi le Congrès est-il si critiqué par la population ?
 

Saïd Haddad : Le CGN, dont le mandat devait prendre fin le 7 février 2014, a décidé de le prolonger au-delà de cette date et ce jusqu’en décembre 2014, le temps d’organiser des élections législatives et/ou présidentielles. C’est ce qui a provoqué la fureur d’une partie de la population qui tient le CGN responsable, à l’instar du gouvernement intérimaire, des difficultés de la population et qui considère qu’il a échoué dans l’instauration de la stabilité et de la sécurité du pays.

Le CGN, ou tout au moins le « bloc » islamiste est engagé depuis des mois dans un bras de fer avec le Premier ministre, qui rappelons-le, est élu par ce même CGN. Il a ainsi tenté sans grand succès de renverser, par des mentions de censure, Ali Zeidan. Le pouvoir exécutif, mis à mal par les milices, est ainsi paralysé par le CGN et la Libye se trouve confrontée à un pouvoir dual. À ce titre, il sera intéressant de voir qui représentera la Libye à Rome : le chef du gouvernement ou celui du CGN ?

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Saïd Haddad est docteur en science politique, maître de conférences aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, chercheur associé à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et responsable de la rubrique « Libye » pour la revue L’Année du Maghreb

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