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Pourquoi le déficit de la France est dans la ligne de mire de Bruxelles?

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La France est au cœur des préoccupations de la Commission (Crédits : shutterstock.com)

« En terme de parts de marché, il n’y a pas d’amélioration malgré le crédit emploi compétitivité (CICE). On ne constate pas en France, de rééquilibrage en terme de compétitivité coût, comme en Espagne ou en Italie », a lancé Bruxelles, mardi 5 mars, en guise d’avertissement. D’après la Commission, la France ne respectera pas son objectif de déficit à 3% en 2015 : « Le risque que la France ne respecte pas ses engagements est très sérieux », insiste-t-on à la Commission européenne. La situation est-elle si catastrophique en France ? Eléments de réponses avec Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

JOL Press : La Commission européenne a non seulement pointé du doigt, mercredi, la perte de compétitivité des entreprises françaises, mais s’est aussi vivement inquiétée du dérapage des comptes publics. Sur quels chiffres se base Bruxelles ?

Eric Heyer : Pour 2014, la Commission européenne fait des prévisions, elle a des économistes à Bruxelles qui font des exercices de prévision comme peuvent le faire les économistes du FMI, de Bercy ou de l’OFCE. La Commission prévoit un déficit, en 2014, à 4% alors que la France s’était engagée à faire 3,6%. Bruxelles estime donc que la France ne parviendra pas à tenir ses engagements, mais ce ne sont que des prévisions. Les prévisions de Bruxelles sont-elles de meilleure qualité que celles qui prévoient un déficit à 3,6% ? Je ne le crois pas. L’avertissement de Bruxelles est un avis parmi beaucoup d’autres.

En ce qui concerne la perte de compétitivité des entreprises française, il existe une sorte de consensus : la France n’a pas attendu Bruxelles pour réaliser qu’elle avait perdu des parts de marché et que les entreprises françaises avaient perdu en compétitivité. C’est un diagnostic qui est commun à tous les économistes. Déjà en 2012, le rapport Gallois pointait du doigt ce problème et proposait au gouvernement de lancer des baisses de charges, ce qui a conduit au pacte de responsabilité.

JOL Press : Face à ce constat, que peut faire la France ?

Eric Heyer : Elle est là l’étape intéressante. Le gouvernement a choisi de relancer la compétitivité des entreprises grâce au pacte de responsabilité, en baissant des cotisations sociales et en les compensant par une baisse des dépenses publiques ; c’est exactement ce que demandait Bruxelles. De ce point de vue-là, la Commission devrait applaudir des deux mains.

JOL Press : « La France devrait manquer les objectifs de déficit global et d’ajustement structurel » sur la période 2013-2015, estime la Commission. Que pensez-vous de cette analyse ?

Eric Heyer : Quand la Commission parle de 2015 en termes de déficit, elle ne peut prendre en compte que les mesures votées, or, en France, on vote le budget d’une année au mois de septembre de l’année précédente. Les mesures pour 2015 vont être votées en septembre 2014. Les prévisions de la Commission n’ont donc pas beaucoup d’intérêt, dans la mesure où elles prennent acte de mesures qui n’ont pas encore été votées par le Parlement. Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé à voter dans le budget de septembre 2014 des économies de 17 milliards d’euros, ce qui correspond à 0,9 points de PIB.

Quand la Commission prévoit que les déficits seront de 4% en 2015, elle ne prend pas en compte le vote du budget de septembre 2014. C’est très curieux ce que fait Bruxelles. La Commission ne fait pas de prévisions pour 2015, elle fait des hypothèses en considérant que le gouvernement français ne va rien faire. Ce n’est pas très sérieux.

JOL Press : La France est, avec la Slovénie, le seul pays de la zone euro à être placé sous cette procédure de surveillance renforcée. La France doit-elle s’en inquiéter ?

Eric Heyer : Il faut toujours être vigilent mais je trouve hallucinant que la France soit considérée comme l’un des pays les plus dangereux d’un point de vue budgétaire. Ce n’est pas du tout ce que disent les marchés financiers qui ont une grande confiance dans la signature française. Les taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique française sont les plus bas de l’Union européenne avec l’Allemagne. Dire que les deux pays qui vont mal d’un point de vue budgétaire sont la Slovénie et la France, c’est n’importe quoi.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre en compte les avertissements de la Commission et je ne nie pas que la situation française soit mauvaise mais dire que cette situation est la pire, d’un point de vue budgétaire, de la zone euro, est, selon moi, une énormité. Quand on regarde les niveaux déficit et de dette publique, la France n’est absolument pas le pire élève de l’Union européenne, loin de là. Quand on regarde le pays qui respecte le moins ses engagements, la France n’est pas non plus la dernière. L’Espagne a réduit beaucoup moins vite son déficit que la France, par exemple.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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