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Quel regard Jacques Delors porte-t-il sur la France d’aujourd’hui?

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Jacques Delors s’est imposé singulièrement comme « premier homme d’État européen », appelant à une Europe de chair et d’âme. Mais que pense l’ancien président de la Commission de la situation actuelle ? Eléments de réponse avec Stéphanie Baz-Hatem, co-auteure de Jacques Delors hier et aujourd’hui (Desclée de Brouwer – mars 2014).

JOL Press : En 1995, si Jacques Delors s’était présenté à l’élection présidentielle quelle politique aurait-il mis en place ?

Stéphanie Baz-Hatem : Les idées qu’il voulait mettre en oeuvre en 1994 n’ont pas été rendu publiques mais ce que nous essayons de montrer, dans le livre, c’est l’ensemble des sujets sur lesquels il a travaillé au long de sa vie. Ce travail démontre que s’il était allé jusqu’aux plus hautes fonctions de l’Etat, il aurait pu mettre en œuvre notamment une démocratie sociale, une politique d’éducation qui aurait favorisé la formation continue, une politique française plus européenne. La politique selon Jacques Delors revient à trouver en permanence l’équilibre entre le pragmatisme économique et l’action sociale.

JOL Press : Comment expliquer qu’à l’époque il était si peu soutenu au sein du Parti socialiste ?

Stéphanie Baz-Hatem : Le Parti socialiste le trouvait trop à la droite de la gauche. Jacques Delors se reconnait dans la démocratie sociale qui existe dans le nord de l’Europe – au Danemark, en Suède, en Allemagne – il a toujours été à part au sein de son propre parti politique. Le Parti socialiste n’était pas prêt à suivre ses idées et son étiquette internationale et européenne renvoyait une image trop libérale à la gauche de l’époque, sur le plan économique.

JOL Press : Peut-on dire qu’il était trop en avance sur son temps ?

Stéphanie Baz-Hatem : On peut dire cela oui. La politique qu’il prônait hier se retrouve aujourd’hui. Il est une sorte d’initiateur ; même s’il déteste dire « Je vous l’avais bien dis », force est de constater que, dès 1983, quand il était ministre sous François Mitterrand, il a imposé la rigueur, une politique mise en œuvre aujourd’hui.

JOL Press : A-t-il un jour regretté de ne pas se présenter ?

Stéphanie Baz-Hatem : Officiellement non. S’il avait eu les cartes en main, il aurait aimé faire le job mais il n’a pas de regret parce qu’il sait qu’à cette époque, il n’aurait pas pu mettre en œuvre sa politique. Beaucoup de gens regrettent qu’il ne se soit pas présenté, quand on le croise dans la rue on l’interroge sur son choix, mais pour lui tout ceci est de l’histoire ancienne.

JOL Press : Quel est son rôle aujourd’hui au sein du Parti socialiste ?

Stéphanie Baz-Hatem : Jacques Delors n’a pas de fonction officielle mais il est indéniable que certains cadres au PS ne manquent pas de venir lui demander conseil. Le Parti socialiste reste divisé, tous au parti ne partagent pas sa vision de la politique. Comme Pascal Lamy, il ne fait pas consensus chez les socialistes.

JOL Press : Avait-il anticipé la situation que nous connaissons aujourd’hui ?

Stéphanie Baz-Hatem : Il avait anticipé la situation que traverse aujourd’hui l’Europe. Il a très vite dénoncé le vice de construction de la monnaie unique. Pour lui, seul le maillon politique pouvait permettre à l’économie européenne de tenir la route. Quand on relit ce qu’il a pu écrire lors de la création de la monnaie unique, on constate que son expertise de l’époque se vérifie aujourd’hui.

JOL Press : En quoi le contexte était-il différent en 1995 ?

Stéphanie Baz-Hatem : Avec la crise économique mondiale, les gens s’éloignent de plus en plus de l’Europe, la montée des populismes dans tous les pays européens en est la preuve. En 1995, le contexte était tout à fait différent, l’Europe était une idée nouvelle. Aujourd’hui, une grande partie des Français considère l’Europe comme étant à l’origine de leurs difficultés financières. Les gens sont beaucoup plus désabusés qu’il a 20 ans.

[image:2,s]JOL Press : Quel regard Jacques Delors porte-t-il sur la situation actuelle ?

Stéphanie Baz-Hatem : Il est dans la réflexion, il ne veut pas apparaître comme une personne qui viendrait porter un regard critique sur la situation. Depuis quelques années, il tire la sonnette d’alarme sur la crise de la monnaie unique, mais sur la politique intérieure française, il reste discret.

JOL Press : Quel regard Jacques Delors porte-t-il sur son parcours ?

Stéphanie Baz-Hatem : Jacques Delors a toujours le souci de se rendre utile, il a toujours le sentiment de ne pas en faire assez. Il a conscience d’avoir fait des choses très utiles pour l’Europe, en tant que président de la Commission européenne de 1985 à 1994 et fondateur du think tank « Notre Europe », et il pense avoir fait de son mieux quand il était ministre de la République (de 1981 à 1984). Il n’était pas du tout prédestiné à arriver à de si hautes fonctions, c’est un autodidacte, il n’a pas fait de grandes écoles, il pourrait être fier mais il n’est jamais suffisamment satisfait de ce qu’il entreprend, c’est un « pessimiste actif », comme nous l’écrivons dans le livre. C’est un homme qui cherche en permanence à aller de l’avant.

JOL Press : Quel est, aujourd’hui, l’état de ses relations avec François Hollande ?

Stéphanie Baz-Hatem : Jacques Delors et François Hollande ne sont pas en contact. Depuis mai 2012, ils ne se sont rencontrés qu’une seule fois. Il sera toujours présent si on le sollicite mais il n’y tiens pas forcément.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Stéphanie Baz-Hatem est responsable de la communication et des relations médias à Notre Europe-Institut Jacques Delors et conseillère presse de Jacques Delors depuis septembre 2009. Elle est l’auteur de Perles du Liban (Les 2 encres, 2013).

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