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Rachat de SFR: vers une bataille judiciaire?

Le rachat de SFR  anime le marché des fusions acquisitions, ce serait le plus gros LBO monté en France et avec la bataille entre Numericable et Bouygues le débat qui électrise le secteur des télécommunications risque de se déplacer vers les tribunaux.

Le combat  acharné qui se livre depuis un mois pour SFR s’accompagne d’un débat juridique enflammé où se dessine une perspective de bataille judiciaire concernant les processus de cession de sociétés non cotées et les règles de gouvernance dans les sociétés.  Le débat porte sur les conditions et procédures d’aliénation par une société de ses biens et sur les choix de gestion des dirigeants , à leur faculté d’appréciation et à l’information devant être fournie au public.  Il porte aussi sur le droit de la concurrence dans les télécommunications.  

Compte des tenus de l’objectif stratégique de Vivendi, qui était de se désengager de l’activité télécommunications, deux options s’ouvraient à Vivendi concernant SFR , une offre présentée par Altice Numéricable et un projet de scission de la filiale dont les actions auraient été distribuées aux actionnaires de Vivendi.

Le processus d’enchères

Le 24 février 2014 Vivendi avait confirmé avoir été approché par Altice, la maison mère de Numericable. L’offre pour le deuxième opérateur français  était en partie en cash et une partie en actions.  Bouygues a immédiatement indiqué être candidat au rachat.   Une procédure d’enchère a été lancée par Vivendi  avec une date limite du 5 mars 2014 pour le dépôt des offres et Numericable comme Bouygues ont déposé une offre. Le 12 mars 2014 Bouygues a surenchéri. Le 14 mars 2014 le conseil de surveillance de Vivendi a décidé d’entrer en négociations avec Altice avec une exclusivité accordée jusqu’au 4 avril 2014.  

Une procédure d’enchère n’est pas requise par la réglementation, puisque SFR n’est pas une société cotée et il ne s’agit donc pas d’une offre publique.  Vivendi considère que ce processus d’enchères a été conduit de façon « collégiale » et « loyale ».  Du côté de Bouygues le sérieux , voir l’équité des enchères menées par Vivendi a été critiqué, le déroulement du processus de vente a été décrit comme bien informel.

La transparence du processus a aussi  été mise en cause. Les détails des montages financiers et des valorisations liées aux offres d’Altice/Numericable et de Bouygues n’ont bien entendu pas été divulgués L’ADAM qui s’est plainte auprès de Vivendi  que « les informations disponibles ne permettent pas de savoir sur quelles données précises le conseil de surveillance s’est  basé pour donner la préférence à l’offre de Numericable ».  Cette demande ne parait pas conforme à de bonnes règles de gouvernance.  Ces données précises  ne peuvent être étalées sur la place publique et relèvent de l’appréciation du management .

L’évaluation des offres

Les offres ont une part cash et une part en titres  dans l’entité qui résultera de la fusion Numericable SFR ou de celle entre Bouygues et SFR. L’évaluation des offres implique d’une part d’apprécier les chances de l’opération d’aboutir et d’autre part les conditions financières tant en ce qui concerne la liquidité espérée et d’autre part à l’évolution de la participation dans SF.  Les critères d’évaluation ont apparemment été la valeur, le risque d’exécution et le projet industriel.

La décision de négociation exclusive avec Numericable

Le conseil de surveillance de Vivendi a voté le 14 mars 2014  l’entrée en négociations exclusives avec Numericable. Vivendi avait  indiqué que c’est seulement à l’issue de cette période et après nouvel examen de l’offre de Numericable qu’il mettrait « un terme aux autres options envisagées », à savoir la vente à Bouygues et l’introduction en bourse de SFR.   Vivendi  a ainsi accordé à Numericable ce qui a été qualifié par les défenseurs de la solution Bouygues d’ « exclusivité molle ». L’objectif d’une négociation exclusive est en effet normalement la signature d’un contrat de vente .

 Bouygues a présenté, avec le soutien de la Caisse des Dépôts en particulier, une contre offre.  Celle-ci améliore la composante en numéraire de son offre , la portant à 13,15 Mds € alors que l’offre en numéraire de Numéricable est de 11,75 Mds €.  Inversement la part du capital que conserverait Vivendi est réduite à 21,5%. L’introduction est envisagée dès la réalisation de la fusion, fournissant une liquidité qui traduit en fait une sortie complète de Vivendi.

Cette surenchère a déclenché un combat homérique en remettant en cause une transaction qui paraissait acquise.   Bouygues a  affirmé  que Vivendi devait immédiatement cesser de négocier avec Numericable  alors que Vivendi affirmait que l’exclusivité de négociation lui interdisait de négocier avec Bouygues pendant la durée de l’exclusivité.  Dans la lignée de sa décision juridiquement ambigue quant à l’exclusivité de négociation  le Président de Vivendi Jean René Fourtou,  a écrit à Martin Bouygues que « le management de Vivendi, soucieux de l’intérêt social de l’entreprise et de l’intérêt de ses actionnaires et de ses salariés, va examiner cette offre avec toute la rigueur nécessaire et selon des critères arrêtés avec le comité spécial du conseil de surveillance, et en application stricte de notre engagement d’exclusivité ». Par ailleurs le directoire de Vivendi étudie la contre-offre de Bouygues, mais sans prendre contact avec Bouygues. Par ailleurs le comité ad hoc qui avait préparé la décision du 14 mars 2014 étudie  l’offre de Bouygues avec les explications du texte du management de Vivendi.  Cette attitude est présentée par Vivendi comme destinée à éviter tout risque juridique, elle parait au contraire de nature à alimenter un débat judiciaire.

L’exclusivité accordée exclut normalement toute négociation avec un autre repreneur . L’interdiction est normalement expressément prévue par les clauses contractuelles, elle est habituellement assortie de sanctions. Le dépôt d’une offre améliorée n’est pas, contrairement à ce que semble soutenir Bouygues, un « évènement nouveau de nature à rendre caduque l’exclusivité » :  une contre-offre n’est pas un fait nouveau , car elle est prévisible et la négociation avec un autre repreneur est précisément ce que le bénéficiaire d’une exclusivité veut exclure.   La clause d’exclusivité non seulement interdit la négociation avec un autre repreneur, mais on doit considérer qu’elle interdit de négocier en prenant en compte une surenchère faite pendant la durée de l’exclusivité. Si le vendeur prend en compte dans le cadre des négociations le contenu de la contre offre, il parait discutable qu’il soit considéré comme étant de bonne foi.  L’argument d’un devoir fiduciaire à l’égard des actionnaires n’est pas pertinent car celui-ci ne peut délier la société d’un engagement qu’elle a pris et qui est parfaitement conforme au devoir fiduciaire. 

L’indication par Vivendi qu’il y aurait à l’issue de la période d’exclusivité une décision après un nouvel examen de l’offre de Numericable et que c’est alors qu’il serait décidé de mettre un terme aux autres options envisagées  ouvrait la porte à une présentation d’une surenchère   en contradiction avec la décision de négociation exclusive. Il faut souligner que la situation est encore  compliquée par la pression exercée par l’ADAM qui réclame un examen de la cession de SFR par l’assemblée générale des actionnaires.  Si l’on peut penser soumettre à l’approbation d’une assemblée d’actionnaires le principe d’une cession pour une filiale qui représente la moitié de la valeur du groupe et qui constitue un pan d’activité, en revanche la demande d’une assemblée qui approuverait le choix du repreneur est contraire à des bons principes de gouvernance. L’appréciation du choix du repreneur ne peut que relever du management et un processus de cession avec des candidats repreneurs  ne pourrait être organisé et la cession négociée et finalisée avec un repreneur si les informations confidentielles étaient diffusées et si le choix pouvait être remis en cause par une assemblée d’actionnaires.

Compte tenu de position de Vivendi qui ne donnait pas un caractère définitif au choix de l’option Numericable Bouygues a fait une  surenchère  qui bien entendu ne pouvait pas en fait être ignorée des administrateurs de Vivendi.   Bouygues a voulu forcer la main du management de Vivendi et en particulier de Jean René Fourtou.  Il a conduit celui-ci à indiquer  expressément que Vivendi   prend en compte la contre-offre de Bouygues Vivendi offre une base pour une action judiciaire de Numericable si elle venait finalement à refuser l’offre de Numericable et Bouygues s’est ainsi créé un handicap juridique.

Débat : Tribunaux et Autorité de la Concurrence

Le recours en justice menacé par les deux candidats à la reprise parait avoir été rendu très probable compte tenu d’un débat juridique qui a été alimenté par  les imprécisions du processus d’enchères et par l’ambiguité de la position de Vivendi sur l’exclusivité de négociation.  Le lancement et le résultat d’une bataille judiciaire sera affectée par l’identité du candidat qui aura gagné ce qui ne sera qu’une bataille pour la reprise. En effet l’opération devra être approuvée par l’Autorité de la Concurrence  où le débat fera rage si la solution Bouygues est finalement choisie par Vivendi.  En ce qui      concerne en effet  la solution BOUYGUES /SFR il est clair que la surenchère marque une prise en compte supplémentaire de la réduction du nombre des opérateurs à trois dans cette solution.  La participation de la Caisse des dépôts en particulier répond au souhait de voir une atténuation de la concurrence dans les télécommunications.  Ceci renforce bien entendu sérieusement les risques de voir l’Autorité de la concurrence refuser l’opération. Il semblerait que Bouygues ait en fait confirmé cette augmentation du risque en prévoyant un break up fee  considérable pour indemniser Vivendi si son offre est acceptée mais échoue finalement. La presse fait état d’un break up fee  estimé entre 500 millions et un milliard d’euros. Ceci confirme la fragilité de l’offre de Bouygues, alors que l’Autorité de la Concurrence s’était dans le passé montré hostile à la réduction du nombre des opérateurs . Bouygues avait pour pouvoir espérer un visa favorable de l’Autorité de la concurrence pris l’engagement de céder en cas de succès son offre son réseau mobile à Free pour un montant de 1,8 Md €, montant jugé très favorable pour Free. L’amélioration de l’offre de Bouygues souligne que sa réussite financière repose d’autant plus sur une atténuation de la concurrence que Bouygues est amené à donner des garanties sur l’impact social de la fusion.  Les synergies futures générées par la fusion de SFR Bouygues impliquent nécessairement une réduction de la pression concurrentielle sur les prix, et l’atténuation des initiatives de Free, calmées par la réduction de ses investissements en infrastructures.

Le dossier du rachat SFR va donc tant devant l’Autorité de la Concurrence que probablement devant les tribunaux judiciaires, enrichir la réflexion sur les fusions acquisitions, la gouvernance des sociétés et la régulation des télécommunications. 

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