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«Sans la croissance et l’inflation, la réduction des déficits ne sert à rien»

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Mercredi 5 mars, la Commission Européenne a mis la France sous surveillance (shutterstock.com)

Après avoir été épinglés par Bruxelles, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, respectivement ministre de l’Economie et du Budget, ont rappellé les efforts budgétaires accomplis et assuré que « le gouvernement poursuit sa stratégie de maîtrise rigoureuse de la dépense » et « que le gouvernement s’est engagé à poursuivre son effort de rétablissement des comptes publics à partir de 2015 ». Faut-il craindre des sanctions de la Commission Européenne ? Eléments de réponses avec Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

JOL Press : Il y a moins d’un an, Bruxelles avait accordé un délai de deux ans à la France pour atteindre les 3 % de déficit prévus par le pacte de stabilité à fin 2015. Aujourd’hui, elle doute que Paris puisse y parvenir. Cela correspond-il à vos prévisions ?

Eric Heyer : Ce constat n’est pas une prévision : 2015 ne devrait pas être pris en compte. Selon Bruxelles, la France votera un budget 2015 sans économie et sans hausse de prélèvements obligatoires, mais qu’en sait-elle ? C’est une hypothèse. Partant de là, la Commission craint que la France ne respecte pas ses engagements, mais il est encore trop tôt pour le dire. L’effort que le gouvernement souhaitera faire en 2015 sera voté en septembre 2014. Je ne comprends pas l’avertissement de la Commission. Comment peut-elle reprocher à la France de n’avoir pas prévu de faire suffisamment d’économies sur 2015, alors même que le budget n’a pas été voté ?

JOL Press : Bruxelles cherche-t-il à faire pression sur la France pour qu’elle accélère le rythme de ses réformes ?

Eric Heyer : C’est tout à fait possible. La Commission peut considérer que la France ne respecte pas assez ses engagements. La France est certainement dans le collimateur de Bruxelles parce qu’en tant que grand pays, elle devrait montrer un peu plus l’exemple. Que les petits pays ne respectent pas leurs engagements et soient dans une plus mauvaise situation financière, serait en soit beaucoup moins grave. Je veux bien entendre cet argument. En tant que pilier de la zone euro et de la construction européenne, la France doit, en effet, être plus irréprochable d’un point de vue budgétaire, mais ce n’est pas une raison pour en faire le mauvais élève de la zone euro.

JOL Press : Que peut faire la France pour redresser la barre ?

Eric Heyer : La France peut choisir de réduire encore plus vite les déficits en continuant la stratégie mise en place depuis 2010 dans toute l’Europe : elle peut continuer à augmenter les impôts ou choisir de baisser les dépenses publiques, c’est qu’on appelle l’austérité. Mais force est de constater que cette stratégie ne marche pas : quand on met en place trop vite des mesures trop dures, on casse la croissance, on réduit l’inflation, la dette publique continue à progresser et les déficits peinent à se réduire. On peut continuer cette stratégie mais il n’y a pas de raison que ce qui n’a pas marché en 2010 et 2013 fonctionne en 2015. Il faut apprendre de ses erreurs.

On peut aussi considérer qu’il existe une autre voie possible : aller beaucoup moins vite dans la réduction des déficits pour ne pas casser la croissance et pour qu’on ne rentre pas en déflation. La réduction de la dette publique ne passe pas par un seul instrument mais par la réduction des déficits, la croissance et l’inflation. Cette nouvelle politique nécessite un changement de logiciel : il faut comprendre que la réduction des déficits ne doit pas être l’unique objectif, car si elle n’est pas accompagnée de croissance et d’inflation, elle ne sert à rien. Si on ne change pas de logiciel, si on fait tout pour réduire les déficits quitte à casser la croissance, on peut être assuré que la dette publique va augmenter.

JOL Press : Des sanctions de la part de Bruxelles sont-elles envisageables ?

Eric Heyer : C’est envisageable mais ce serait absurde. On fait des efforts, on n’arrive pas à réduire les déficits sans casser la croissance et parce que la dette publique ne serait pas réduite on aurait une amende ? Je préfèrerais qu’en guise de sanction on nous propose de changer de stratégie.

JOL Press : François Hollande va-t-il malgré tout devoir changer de ministre de l’Economie ? Le nom de l’ancien président de l’OMC, Pascal Lamy, circulerait…

Eric Heyer : Je ne crois pas en la personnalisation de la politique économique. Jérôme Cahuzac a été remplacé par Bernard Cazeneuve au Budget et la politique n’a pas changé. Il y a des choix politiques à faire en France mais on voit bien aujourd’hui que ces choix sont soumis à la stratégie européenne. On a signé des traités, le pacte de stabilité et de croissance, on s’est engagé à réduire les déficits et les ministres sont là pour mettre en œuvre les étapes pour atteindre les objectifs dictés par Bruxelles. Les ministres sont avant tout des ouvriers. Ce qui serait vraiment une rupture, ce serait que le Premier ministre ou le président de la République changent de stratégie et qu’ils parviennent à faire changer la stratégie européenne. Aujourd’hui les marges de manœuvres sont quasi nulles, tout ce qui sera fait à la marge sera du détail.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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