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Santé des agriculteurs et pesticides: les pistes de la sénatrice Nicole Bonnefoy

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Il avait 41 ans, des jumeaux de 5 ans, et la viticuture pour passion. Frédéric Ferrand est mort le 11 décembre 2011, emporté en dix-huit mois par un cancer de la vessie metastasé au niveau des os qui lui faisait uriner du sang.

C’est le folpel, un fongicide, qui est accusé d’avoir causé le décès de ce viticulteur installé près de Cognac, en Charente. « Nous avons fait éplucher par un médecin vingt ans de factures de produits achetés par Frédéric pour son exploitation, nous raconte son père, Jacky Ferrand. Pas une de ces factures n’était exempt d’au moins un produit cancérigène ! »

Frédéric faisait attention à se protéger. Mais « les protections ne servent pas à grand chose, il devait mettre tellement de produit… Il pouvait aller jusqu’à traîter treize ou quatorze fois les vignes selon la saison », soupire son père.

Peu avant sa mort, Frédéric réfléchissait même à une éventuelle conversion au bio. « Mais même s’il était passé au bio, il aurait alors souffert des pesticides utilisés par les viticulteurs voisins », soutient Jacky Ferrand. « Ce qui montre au passage d’ailleurs que le problème va bien au-delà de mon fils. Prenez l’école de notre village. Elle est en plein millieu des vignes ! ».

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Il s’en est inquiété auprès du maire, lequel a demandé aux viticulteurs… de ne pas traiter leurs vignes durant les heures de cours. « Mais le produit s’envole ! Il est dans la nature ! ». Jacky Ferrand estime toutefois que son village est « chanceux » : au moins, les produits phyto-sanitaires n’y sont-ils pas répandus par hélicoptère, comme dans certaines communes qui ont obtenu une dérogation préféctorale.

Les protections illusoires, l’impuissance à changer son mode d’exploitation, l’extrême difficulté à faire reconnaître les maladies liées à l’usage de pesticides comme maladies professionnelles (Jacky Ferrand et son épouse ont dû saisir les tribunaux pour que le cancer de leur fils soit considéré comme maladie professionnelle), l’« omerta » chez les agriculteurs, la « pression du lobby des fabricants »… Jacky Ferrand espère que la loi d’avenir pour l’agriculture, débattue au Sénat en avril, apportera des solutions pour remédier au système qui lui a volé son fils. 

Entretien avec la Sénatrice Nicole Bonnefoy, à l’origine du rapport préalable sur l’impact des pesticides sur la santé.

JOL Press : La France est aujourd’hui le troisième plus gros consommateur de pesticides au monde. Pourquoi cette « addiction » ?
 

Nicole BonnefoyEn effet, la France est le troisième consommateur mondial, après les Etats-Unis et le Japon et, de loin, le premier utilisateur de pesticides en Europe. Ce volume doit toutefois être rapporté à la surface et aux productions agricoles.

La France est aussi le premier utilisateur de produits phytosanitaires parce qu’elle est le premier producteur agricole européen (21,7 % de la production totale de l’Union européenne), le premier producteur de maïs, très gros consommateur d’herbicides (42,7% de la production totale européenne), et qu’elle dispose de la plus grande surface agricole utilisée (SAU) : 28,4 millions d’hectares, soit 22 % de la SAU totale. Rapportée à l’hectare, la France est dans une position moyenne.

JOL Press : Avez-vous pu évaluer la proportion d’agriculteurs dont la santé se trouve affectée par l’utilisation de pesticides ?
 

Nicole Bonnefoy : Non, nous n’avions pas les moyens d’évaluer le nombre d’agriculteurs dont la santé se trouvait affectée par l’utilisation de pesticides.

Par contre, nous nous sommes rendu compte que ces produits qui ne sont pas anodins pouvaient avoir un impact sur leur santé, mais comme il n’y avait pas de système organisé de phyto-pharmacovigilance, il était impossible de le mesurer et donc d’en tirer des conséquences.

JOL Press : Vous avez dit dans la presse que les pesticides, « comme les antibiotiques, ne sont pas automatiques ». Les agriculteurs peuvent-ils réellement rester compétitifs sans utiliser de pesticides ?
 

Nicole Bonnefoy : C’est bien là tout le problème, l’agriculture a changé. Nous sommes dans un monde productiviste où la concurrence fait rage. Les agriculteurs, comme d’autres, se sont convertis par choix ou par obligation à cette politique, oubliant parfois les bases de l’agronomie, le « bon sens »…

Pour produire un produit stéréotypé, calibré, demandé par l’industrie agro-alimentaire qui le transforme et le conditionne ensuite pour le vendre à des catégories de consommateurs à grand renfort de communication sur les prix, les soit-disantes « valeurs nutritives », la santé, etc…

Les consommateurs que nous sommes sont-ils gagnants ? Savons-nous réellement ce que nous mangeons ? Le producteur vit-il de sa production ? Je crois que les choses changeront vraiment lorsque le consommateur influera vraiment par son acte d’achat responsable toute la chaîne agro-alimentaire jusqu’au producteur.

Dans la compétitivité telle que vous l’évoquez, il faudrait, au-delà du produit lui-même acheté à l’agriculteur, inclure le coût du traitement de la pollution des sols, de l’eau, de l’air, le traitement des déchets, voire le coût des maladies induites par la « malbouffe ». Peut-on considérer que le système tel qu’il existe aujourd’hui est compétitif ? Ce n’est pas le mot que j’emploierais !

JOL Press : Quels sont les principaux obstacles à une baisse de l’utilisation des pesticides ?
 

Nicole Bonnefoy : L’agriculteur recherche – et c’est normal – la garantie de vendre sa récolte dans les meilleures conditions. Pour cela, il se fie aux conseils que la firme ou la coopérative lui donne, il fait confiance. L’utilisation du produit chimique facilite le travail de l’agriculteur. C’est donc une situation qui paraît confortable, moins contraignante, et avec une meilleure garantie de récolte.

JOL Press : Sur lesquels de ces obstacles la loi d’avenir pour l’agriculture apporte-t-elle des réponses ?
 

Nicole Bonnefoy : La formation de nos jeunes à une autre agriculture « agro écologie » dans nos lycées, nos écoles ; la mise en place d’un système de phyto-pharmacovigilance supervisé par l’Etat et de suivi après l’Autorisation sur le marché (AMM) ; l’instauration de la traçabilité des produits phytos avec contrôle des douanes ; la création d’un certificat d’économie de produits phytos ; la reconnaissance des produits de bio-contrôle.

JOL Press : Que reste-il d’urgence à mettre en place ?
 

Nicole Bonnefoy : Eduquer à l’alimentation nos jeunes dès la maternelle pour leur santé (lutte contre l’obésité…) et pour en faire des consommateurs responsables ; développer davantage les circuits courts, les plate-formes d’approvisionnement local ; contrôler davantage le conseil et la vente ; développer la Recherche & Développement des produits alternatifs.

JOL Press : Est-il encore envisageable que les Objectifs du plan Ecophyto 2018 soient atteints en ce qui concerne la réduction de 50% de la quantité de pesticides utilisés en France à l’horizon 2018 ?
 

Nicole Bonnefoy :  Je ne pense pas et je le regrette. 

JOL Press : Pourquoi le bio n’est-il pas un créneau qui séduit les agriculteurs ?
 

Nicole Bonnefoy : Une faible taille des exploitations ; l’absence de régularité des approvisionnements destinés aux circuits de transformation et de distribution ; le poids des multiples tendances ; l’existence de « faux bio » ; les contraintes, la réglementation… Voilà quelques raisons qui expliquent sans doute le développement insuffisant du bio.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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