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«Sortir du nucléaire aggraverait le changement climatique»

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JOL Press : Au total, 56 militants de Greenpeace ont pénétré dans la centrale de Fessenheim. Cette intrusion révèle-t-elle une faille dans la sécurité du site ?
 

Claude Stephan : Leur entrée avait été détectée par les gendarmes. Mais ces militants sont connus des forces de police, qui n’allaient pas leur tirer dessus. Les membres de Greenpeace ont pu pénétrer dans l’enceinte de la centrale, mais pas dans les salles de contrôles qui sont ultra sécurisées.

JOL Press: Y-a-t-il un risque selon vous concernant la doyenne des centrales nucléaires françaises ?
 

Claude Stephan : Il y a 58 réacteurs aujourd’hui en France. Fessenheim est la plus vieille centrale. Le risque n’est pas plus élevé pour une vieille centrale que pour une nouvelle centrale récente. C’est comme une vieille voiture, lorsqu’il y a quelque chose qui ne marche plus, on le change. De vieux avions volent depuis 20, 30 ans mais leurs réacteurs ont depuis été changés. De ce point de vue-là, il n’y  a pas de risque. En revanche, le seul risque réside dans les fissures dans la cuve parce qu’elles ont été irradiées pendant des décennies. Lorsque l’Agence de Sûreté du Nucléaire (ASN), organisme indépendant et efficace a donné l’autorisation pour 10 ans, c’est qu’il n’y a pas de risques. Fessenheim.  La seule raison pour fermer Fessenheim est d’ordre politique, pour plaire aux Verts :  ce sont des raisons  électoralistes.

JOL Press : Quelles seraient les conséquences de la fermeture de la centrale de Fessenheim, prévue avant 2016 ?  
 

Claude Stephan : Il s’agit d’une décision qui va coûter très cher. Il n’y a pas que des Français, mais aussi des Allemands et des Suisses, qui ont investi de l’argent dans la centrale de Fessenheim. Il faudra donc verser des compensations financières aux quatre partenaires étrangers.

JOL Press : Le Japon commémorait le troisième anniversaire de la catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars dernier. Y-a-t-il eu une prise de conscience en France depuis l’accident ? Qu’est-ce qui a changé depuis ?
 

Claude Stephan : Si le Japon avait appliqué les mêmes règles qu’en France, 95% de la radioactivité ne se serait pas échapper des réacteurs. De nombreuses différences existent entre les centrales de Fukushima et celle que nous avons en France. Pour commencer, il ne s’agit pas du même type de réacteurs : ceux de Fukushima sont des réacteurs à eau bouillante (REB) alors que les réacteurs français sont à eau pressurisée (REP). En France, l’eau qui circule par les réacteurs est chauffée, puis se transforme en vapeur très chaude, avant d’être dirigée vers les turbines. Mais entre cette eau chauffée et celle qui servira à faire tourner les turbines, il y a un échangeur de température, contrairement à Fukushima, où l’eau qui vient directement des réacteurs va dans les turbines : il y a donc un risque de contamination de l’eau.

La prise de conscience remonte avant Fukushima: après l’accident nucléaire aux Etats-Unis, à Three Mile Island, en 1979. Des erreurs de conception ont entraîné des problèmes qui ont incité à faire des corrections. Si de la radioactivité qui se forme, il faut l’empêcher de sortir : après la catastrophe, des filtres à sable avaient donc été installés sur les réacteurs français. Suite à ce même accident nucléaire, des catalyseurs à hydrogène ont également été construits dans les réacteurs français, afin de pouvoir récupérer l’hydrogène pour reformer de l’eau, et éviter ainsi les explosions. Ce que les Japonais n’ont pas fait … Il y a un amateurisme invraisemblable concernant les réacteurs japonais.

JOL Press : Le risque sismique doit également être pris en compte ?
 

Claude Stephan : Oui, bien sûr. A Fessenheim, le risque sismique n’est par exemple pas comparable à celui du Japon. Les réacteurs de la centrale de Fessenheim ont tout de même été construits de façon antisismique, mais pas les salles de contrôles : elles n’ont pas été conçues pour résister à un choc sismique important. Si la centrale de Fessenheim doit continuer à fonctionner, il faudra remédier à cela.

JOL Press : Est-on à l’abri d’un accident nucléaire en France ?
 

Claude Stephan : Il est impossible d’affirmer cela. Même si le risque est très faible, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Après la tempête de décembre 1999, il y a eu un risque d’accident grave dans la centrale nucléaire du Blayais, située au bord de la mer, dans la Gironde. Des feuilles ont bouché les arrivées d’eau impliquant ainsi un manque de refroidissement, l’accident le plus grave qui puisse se passer sur un réacteur nucléaire, même à l’arrêt. Heureusement, sur les quatre réacteurs, seulement deux ont été touchés par ce problème d’arrivées d’eau, évitant ainsi la catastrophe nucléaire.  

JOL Press : Quelles mesures peut-on mettre en œuvre pour éviter ce type d’incident ?
 

Claude Stephan : En rénovant les réacteurs. Mais cela coûte cher : un ou deux milliards d’euros par réacteur. Après Fukushima, les autorités ont également voulu construire sur toutes les centrales françaises des blocs complètement isolés avec des groupes électrogènes, inatteignables de l’extérieur, avec des réserves d’eau en cas d’incident, si les circuits normaux ne fonctionnent plus. 

JOL Press : Sommes-nous aujourd’hui en mesure de renoncer au nucléaire ? Quelles sont les alternatives ? Sont-elles sans risques ?
 

Claude Stephan : Il n’y a qu’à voir ce qui se passe chez nos voisins allemands : ils ont arrêtés les réacteurs et ont recours aux  centrales à charbon. Mais à l’heure du changement climatique, l’alternative du charbon, n’est pas la bonne option, en raison des émissions importantes de C02 que cela implique.  Il y a donc une incohérence en France : nous voulons construire des véhicules électriques, mais il semble que nous oublions comment est produite l’électricité… Si l’on passe du nucléaire au charbon ou au gaz – il n’y a pas d’autres alternatives – nous serons amenés à polluer davantage. On observe actuellement des pluies torrentielles, des canicules, des inondations à répétitions, des tempêtes…Mais en sortant du nucléaire, on aggrave le changement climatique.

JOL Press : L’énergie éolienne a été développée ces dernières années. Pourrait-elle être une alternative efficace au nucléaire ?
 

Claude Stephan : Il est vrai que l’éolien se développe de plus en plus,  mais il se trouve que lorsqu’on a le plus besoin de l’énergie éolienne, il n’y a pas de vent, et les éoliennes ne peuvent pas fonctionner. Nous sommes dans ce que nous appelons un « régime anticyclonique » : soit c’est la canicule, soit il fait froid, alors que c’est pourtant dans ces moments que nous en avons le plus besoin : il n’y a donc pas d’autres alternatives que de mettre en marche les centrales au gaz et au charbon.
 

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Claude Stephan, directeur de recherche émérite au CNRS, à l’Institut de physique nucléaire (IPN) d’Orsay et co-auteur de l’ouvrage «Faut-il renoncer au nucléaire ?» (Editions Le Muscadier).

 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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