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Venezuela: «Le gouvernement mène une guerre d’usure»

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JOL Press : Quelles sont les raisons de l’échec du dialogue national lancé par Nicolas Maduro ?
 

Frédérique Langue: On peut considérer que Nicolas Maduro a tenté, dès son élection, d’instaurer une sorte de dialogue avec son opposition, sans pour autant parvenir à convaincre de ses intentions. La répression mise en œuvre par des organismes gouvernementaux telle la Garde nationale bolivarienne, le SEBIN (Service Bolivarien de renseignement) ou le CICPC (police scientifique et criminelle) lors des manifestations récentes et le peu de cas qui est fait des droits humains et de la liberté d’expression/de presse retirent toute crédibilité à cette offre. Cette répression et les abus commis sont d’ailleurs contestés de l’intérieur du chavisme, secteur militaire compris.

JOL Press: Face à l’ampleur de la crise, quelle est réaction de la communauté internationale ?  L’Union des nations sud-américaines (Unasur) vient de désigner une commission sur la crise au Venezuela : comment comptent-ils encourager le dialogue ?
 

Frédérique Langue: Sauf exceptions notables (tentative du Panama à l’OEA, ayant d’ailleurs entraîné la rupture des relations diplomatiques de la part du Venezuela, et de discussions sur la dette de Panama à son égard) et notamment les organisations de défense des droits humaines, la communauté internationale a à la fois hésité — portant son attention sur d’autres sujets et d’autres lieux  — et s’est scindée en fonction de l’interprétation donnée par la propagande officielle. On a d’une part les pays de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques) composée notamment Cuba, Bolivie, Nicaragua, qui soutiennent ouvertement le gouvernement de Nicolas Maduro et crient au coup d’Etat ourdi depuis l’ « Empire » (sic). D’autre part, des démocraties occidentales qui en appellent au dialogue et au respect de la démocratie, et une sorte de moyen terme latino-américain, proche d’institutions comme l’UNASUR, qui tente de jouer les médiateurs mais privilégie la prudence si ce n’est une extrême discrétion.

JOL Press:  Comment analyser la position du Brésil face à cette crise au Venezuela ?
 

Frédérique Langue: Le cas du Brésil est particulièrement significatif.  Alors qu’en 2012, la présidente Dilma Rousseff en appelait à la défense de la démocratie lors de la destitution du président Fernando Lugo au Paraguay – constitutionnelle pour les uns, « coup d’Etat » pour les autres -, le Brésil se refuse à toute « ingérence » dans les affaires intérieures du Venezuela et ne demande pas davantage l’envoi d’observateurs comme cela avait été le cas sous la présidence de H. Chávez (en 2002). Davantage : les déclarations brésiliennes dénonçant la violence, le retour à la paix sociale et réclamant le respect des institutions démocratiques se font depuis la tribune de l’UNASUR ou du MERCOSUR, bloc économique régional auquel appartiennent également le Venezuela, l’Argentine, le Paraguay et L’Uruguay. Dans le cadre de la réunion de l’UNASUR à Santiago, le Brésil tente de mettre sur pied une commission afin de rétablir le dialogue. Le chancelier vénézuélien E. Jaua a exprimé sa satisfaction. Le Brésil a adopté en fait une position très pragmatique, qui tient à l’étroitesse des liens économiques et politiques créés avec le Venezuela de H. Chávez par le gouvernement Lula. S’y ajoute également la dette croissante du Venezuela envers les exportateurs brésiliens, qui s’élève à plus de 2 milliards dollars…

JOL Press : Lundi 11 mars, un étudiant a été tué et deux autres personnes ont été blessées par balles lors d’une manifestation à San Cristobal. Le maire de la ville accuse les membres des « colectivos » ? Qui sont-ils ?
 

Frédérique Langue: Les « collectifs armés » sont des milices d’inspiration idéologique diverse, se voulant « révolutionnaire » dans le cas des Tupamaros (nés dans le quartier populaire dit du 23 janvier à Caracas) ou des Carapaica, La Piedrita etc. mais appuyant le chavisme depuis ses débuts. La présence de ces groupes motorisés et leur participation à la répression aux côtés de la Garde nationale a effectivement été signalée.

JOL Press: Le gouvernement de Nicolas Maduro résistera-t-il à ce mouvement protestataire, le plus important depuis le début de son mandat en avril dernier ?
 

Frédérique Langue: Comme tout gouvernement en place, celui de Nicolas Maduro détient le monopole de la force: forces armées, police, milices… L’option militarisation n’a été mise en place que dans l’Etat de Táchira, d’où sont parties les mobilisations étudiantes, et cette mesure n’a pas fait l’unanimité, de même que la répression dénoncée par le gouverneur chaviste de cet état, l’ancien militaire J.G. Vielma Mora. C’est une sorte de guerre d’usure que mène actuellement le gouvernement, relativement inégale compte tenu de la disparité des forces en présence, de leur division également, mais aussi du fait qu’une frange importante de manifestants s’est radicalisée et souhaite poursuivre ce mouvement. L’issue dépend évidemment de l’attitude des forces armées, elles aussi divisées, mais dont les manifestations de désaccord ont été pour l’heure soigneusement occultées ou limitées.

JOL Press : Quelles sont les différentes forces d’opposition dans cette crise politique   ?
 

Frédérique Langue: Le défi auquel est confronté l’opposition depuis de longues années n’a pas sensiblement évolué, d’où ce manque de lisibilité apparente : l’absence d’un leadership unique, malgré l’union ponctuellement réalisée autour des candidatures présidentielles d’Henrique Capriles via la MUD (réunion de partis d’opposition). Son rival Leopoldo López, ancien maire de Chacao, déchu de ses droits civiques malgré l’intervention d’organisations internationales des droits humaines, et récemment emprisonné, défendait une option plus radicale et plus mobilisatrice, celle des manifestations de rue, susceptibles de conduire à une « issue » (salida). Le troisième personnage, la députée María Corina Machado, s’est caractérisée par un discours également plus offensif. Récemment, des députés officialistes ont déposé une demande de suspension de son immunité parlementaire.

JOL Press: Pourquoi Henrique Capriles a refusé de participer à la Conférence de paix lancée par Nicolas Maduro ?
 

Frédérique Langue: Henrique Capriles reste perçu comme plus modéré – ses propres partisans le lui ont d’ailleurs reproché parfois -, mais a finalement renoncé à se prêter à une tentative de « dialogue » en raison de la répression brutale des manifestations et des atteintes aux droits humains enregistrées à cette occasion.

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