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Venezuela: «Les Miss, des leaders dans la société vénézuélienne»

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JOL Press : En janvier dernier, le double assassinat de l’ex-Miss Monica Spear et de son compagnon a suscité une vague d’émotion dans le pays. Cette onde de choc révèle-t-elle l’importance que les Miss occupent dans la société vénézuélienne ?
 

Adeline Joffres : Les Miss au Venezuela sont la fierté du pays et à la fois une sorte image d’Epinal. Avant l’apparition d’Hugo Chavez sur la scène politique, le Venezuela en était réduit à ce cliché : Venezuela = Miss Univers + pétrole. Mais avec son leadership politique très fort et sa révolution bolivarienne, Hugo Chavez a bouleversé ces stéréotypes. Aujourd’hui, lorsqu’on pense au Venezuela, on ne pense plus en premier lieu aux reines de beauté, même si le pays détient le record des Miss Univers.

Les Miss sont des personnalités à part entières dans la société : elles sont des modèles. Depuis plusieurs années, elles sont de plus en plus nombreuses à s’engager sur le plan social au Venezuela. Elles sont comparables à des leaders charismatiques : à la fois très proches du peuple – ce qui fait leur popularité – tout en continuant à faire l’objet d’un culte. C’est finalement une industrie du rêve.

JOL Press : Le culte de la beauté, un business lucratif au Venezuela ?
 

Adeline Joffres : Ce culte de la beauté est vraiment quelque chose d’ancré dans la culture latino-américaine, comme au Brésil. Les jeunes filles rêvent de devenir un jour une Miss. Il y a toute une industrie de la chirurgie esthétique qui s’est d’ailleurs développée en parallèle. Les jeunes filles procèdent aux implants mammaires très tôt : c’est souvent un cadeau qu’on leur offre pour leurs 15 ans, pour « la Quinceañera », une fête très importante dans toute l’Amérique latine, qui symbolise le passage de l’enfance au statut de jeune femme.  Il n’est donc pas rare de voir des filles opérées très jeunes, notamment au Venezuela.

JOL Press : Les Miss au Venezuela se sont récemment mobilisées sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences en marge des manifestations anti-gouvernementales. Ont-elles un impact dans la société ?
 

Adeline Joffres : De là à renverser la vapeur, je ne pense pas… Mais il est certain que le double assassinat de Monica Spears et de son compagnon, a vraiment été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase sur la question de l’insécurité au Venezuela : justement parce qu’on a touché à ce mythe. Si aujourd’hui, même les stars ne sont plus protégées, intouchables, alors cela signifie qu’il y a un vrai problème de société. Les Miss sont à part dans la société vénézuélienne et être associées à une représentation de la violence est contre-nature les concernant.

Quelques semaines après la mort de Monica Spear, c’est une autre Miss, Genesis Carmona, élue au titre de Miss Turismo Carabobo 2013, qui a été assassinée d’une balle dans la tête, lors d’une manifestation… Après cet évènement, les Miss – très médiatisées – se sont mobilisées sur les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook.

JOL Press: Cet engagement se traduit-il en politique ?
 

Adeline Joffres : Il n’est pas rare de voir les Miss s’engager en politique. En 1998, Hugo Chavez a remporté l’élection présidentielle contre une ancienne Miss, pour vous dire à quel point elles sont importantes dans la société et dans la politique aussi. Leur engagement politique est courant au Venezuela, comme les stars de la chanson en France qui prennent parti, les Miss sont des figures très emblématiques et populaires.

Mais pour ce qui est des manifestations, l’engagement des Miss est beaucoup plus neutre : leur volonté est d’apaiser les choses et de dénoncer les violences et d’obtenir la paix sociale. Elles savent qu’elles auront un certain impact, même si elles sont conscientes qu’elles ne seront pas non plus un tournant dans les manifestations qui secouent actuellement le Venezuela.

JOL Press : Cette recherche de la perfection, du luxe et de la beauté n’est-elle pas paradoxale dans un pays frappé par de fortes inégalités sociales ?
 

Adeline Joffres : Lorsqu’on a des problèmes assez terre à terre, on a envie de s’évader. Il est normal que la population se reconnaisse dans ces rêves : cela me paraît être un processus assez logique. Les gens se projettent dans quelque chose qui les soulagent et les fait rêver. Cela peut paraître paradoxal, pour nous avec nos lunettes d’Européens…

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

 

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