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Vers une Écosse indépendante?

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« C’est une opportunité trop belle pour passer à côté » : ces mots sont ceux de l’acteur Sean Connery, exhortant la semaine dernière avec enthousiasme ses compatriotes à voter en faveur de l’indépendance.

Les paroles de l’ancien James Bond feront-elles leur effet ? Pour l’heure, les sondages créditent le « non » de 47% d’intention de vote, et le « oui » de 38%.

Si, à l’issue du référendum, l’indépendance du pays était proclamée, le Parlement d’Ecosse, instauré en 1999 dans le cadre de la « devolution » – politique de délégation de pouvoirs – récupèrerait les prérogatives détenues depuis 1707 par Londres (diplomatie, économie, Constitution, défense, etc).

L’Ecosse a-t-elle plus à perdre ou à gagner à faire sécession ? La Grande-Bretagne peut-elle se permettre de perdre sa voisine ? Le point avec Didier Revest, Maître de conférences en civilisation britannique à l’université de Nice-Sophia Antipolis. 

 

JOL Press : Le ministre des Finances britannique a indiqué qu’un « oui » à l’indépendance équivaudrait à renoncer à la livre sterling. Qu’est-ce que cela signifierait pour l’Ecosse ?
 

Didier Revest : Il y a trois scénarios possibles. Un. L’Ecosse parvient à convaincre le gouvernement de Londres qu’il se trompe. C’est le scénario souhaité par les indépendantistes écossais, mais aussi le moins probable, étant donné les déclarations récentes de David Cameron [Premier ministre britannique]. Mais aussi étant donné l’opposition de la population dans le reste du royaume qui, en cas d’indépendance, rejetterait probablement cet arrangement.

Deux. L’Ecosse émet sa propre devise. Reste que beaucoup d’experts expliquent qu’une monnaie sortie du chapeau, détachée de la livre sterling et de la zone euro, risquerait d’être mal vue des marchés, et donc de rendre tout emprunt plus onéreux à terme.

Trois. L’Ecosse adopte l’euro. Pour cela, le pays devrait adhérer à la zone euro, ce qui signifie, bien sûr, faire partie de l’Union européenne. Or se pose ici un problème d’ordre politique : José Manuel Barroso [Président de la commission européenne, ndlra récemment semblé indiquer qu’une Ecosse devenue indépendante devrait redéposer un dossier d’adhésion puisqu’elle aurait quitté un pays membre. Seconde difficulté : la population écossaise paraît majoritairement opposée à l’adoption de l’euro, qui fait désormais figure d’épouvantail. 

JOL Press : José Manuel Barroso a laissé entendre qu’une Ecosse indépendante devrait postuler de nouveau pour rejoindre l’Union européenne. En cas d’indépendance de l’Ecosse, s’acheminerait-on réellement vers un nouveau processus d’adhésion ? Peut-on imaginer que sa candidature soit rejetée ?
 

Didier Revest : De la même façon qu’ils n’envisagent pas d’abandonner la livre sterling, les nationalistes écossais ne voient pas pourquoi leur indépendance signifierait une sortie de l’euro. En réalité pourtant, en cas d’indépendance, il semblerait bien, d’après l’avis de nombreux experts, que l’Ecosse soit obligée de déposer de nouveau un dossier de candidature pour intégrer l’Union européenne.

Or il n’est pas du tout certain que sa candidature soit acceptée. Il est plus que probable que l’Espagne se saisisse de l’occasion pour envoyer indirectement un message à la Catalogne : « Si vous accédez à indépendance, vous risquez de devoir tourner le dos à l’Europe. »

On peut se demander maintenant quel pourrait bien être l’avenir de l’Ecosse hors Union européenne et sans livre sterling, situation évidemment délicate par les temps (de mondialisation) qui courent…

JOL Press : Selon les partisans du « oui » au référendum, si l’Ecosse récupère ses revenus pétroliers, son PIB par tête deviendrait supérieur à celui de la France. David Cameron, de son côté, a affirmé que « seules les larges épaules » du Royaume-Uni permettent d’exploiter correctement ces richesses. Une récupération de ses revenus pétroliers, serait-ce une aubaine ou un cadeau empoisonné pour l’Ecosse ?
 

Didier Revest : Premièrement, il n’est pas du tout sûr que la production pétrolière en mer du Nord puisse se maintenir à son niveau actuel.

Deuxièmement, certaines des plus grandes compagnies pétrolières qui exploitent la mer du Nord sont étrangères. Ce qui signifie que ce n’est pas l’argent du pétrole qui va directement dans les caisses écossaises, mais le produit des taxes acquittées par ces compagnies. On parle donc ici de sommes bien moindres !

Par ailleurs, en prenant son indépendance, l’Ecosse n’en resterait pas moins un pays avec un petit marché intérieur. Elle aurait alors tout intérêt à baisser l’impôt sur les grandes sociétés pour mieux les attirer. L’Ecosse a déjà fait savoir qu’en cas d’indépendance, elle l’établirait systématiquement à un niveau plus bas que le reste de l’ancien Royaume-Uni.

De son côté, David Cameron va toutefois un peu vite en besogne : la plupart des investissements au Royaume-Uni sont le fait de compagnies étrangères. La participation de l’Etat n’est donc pas cruciale.

JOL Press : Près de 90% des réserves pétrolières britanniques se trouvent dans les eaux territoriales écossaises. Que signifierait pour la Grande-Bretagne d’être ainsi amputée de cette source de richesse ?
 

Didier Revest : Pétrole et gaz ne pesaient en 2012 que 2 % environ du PIB britannique. Ce n’est certes pas négligeable, mais il ne faut pas oublier que la Grande Bretagne perdrait du même coup 8 % de sa population.

Or la population écossaise, depuis de nombreuses décennies, reçoit proportionnellement plus d’argent public par tête que la population anglaise, même quand celle-ci vit dans une des régions plus ou moins sinistrées du pays, comme Liverpool ou Newcastle. Ainsi, lorsqu’un Anglais de Newcastle reçoit du gouvernement britannique 100 livres, un Ecossais de Glasgow par exemple en reçoit environ 125. 

JOL Press : Avec une Ecosse indépendante gouvernée par des nationalistes qui ont toujours dit « non » au nucléaire, on imagine qu’elle ne tolérerait plus dans ses eaux les sous-marins nucléaires britanniques. En quoi la force de frappe britannique s’en trouverait-elle affectée ?
 

Didier Revest : Il s’agit d’une question très délicate pour Londres. La base de Devonport dans le sud-ouest de l’Angleterre pourrait très bien accueillir cette force de frappe en cas d’indépendance.

Cependant, la base navale écossaise de Faslane, où elle se concentre à l’heure actuelle, est non seulement remarquablement bien située d’un point de vue géostratégique, mais les sous-marins britanniques y bénéficient également de conditions idéales pour leurs manoeuvres et autres.

La question n’est pas moins problématique pour les nationalistes écossais, car derrière les têtes nucléaires, on trouve toute une industrie, c’est-à-dire un bassin d’emplois et un vivier de très hautes technologies, essentiels à l’économie locale de cette partie de l’Ecosse.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

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