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40 après la Révolution des œillets, le Portugal se souvient encore de Salazar

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JOL Press : Dans quel contexte est survenu le soulèvement du 25 avril ?
 

Rosa Fréjaville : Le 25 avril1974 sonna la fin du régime autoritaire qu’avait mis en place Antonio de Oliveira Salazar. Appelé aussi Révolution des œillets, le soulèvement renversa Marcelo Caetano, à l’instigation des capitaines de l’armée (le Portugal est alors en pleine guerre coloniale). Cette révolution fut assez calme : le peuple descendit dans la rue, et quelques morts seulement furent à déplorer dans des affrontements avec la police politique.

La Révolution des œillets est ainsi nommée en raison des fleurs données par des fleuristes aux militaires qui, le 25 avril, allaient chercher les membres du gouvernement pour les accompagner à l’aéroport, où ils devaient s’envoler pour le Brésil.

JOL Press : Tous les Portugais vont-ils fêter cette révolution, ou existe-t-il des nostalgiques des années Salazar, spécialement en cette période de crise ?
 

Rosa Fréjaville : Certains sont nostalgiques de l’organisation étatique, mais pas de Salazar lui-même ; et la nouvelle génération a déjà oublié… Les seuls qui posent des problèmes sont les anciens combattants. Ils ont une mauvaise image mais ont quand même servi le peuple. Ils étaient obligés de servir un régime en se battant dans une guerre qu’ils ne comprenaient pas.

Néanmoins, il est évident que la conjoncture actuelle ravive la nostalgie d’un pouvoir fort. C’est tout à fait humain. Mais ce n’est pas un souhait violent et très affirmé. Le Portugal est entré dans la démocratie il y a quelques décennies et va continuer dans cette voie. Aujourd’hui, les Portugais vont fêter le 25 avril de partout, dans les universités, les associations… C’est un jour férié ! L’ampleur de la célébration montre bien qu’ils ont à cœur de se rappeler cet événement. La Révolution des œillets a accru leur liberté : les années Salazar les étouffaient, les faisaient vivre à l’écart des autres.

JOL Press : Ce souvenir est-il comparable à celui des Espagnols sur le Franquisme ?
 

Rosa Fréjaville : Je ne pense pas. La fin du régime de Salazar symbolise la fin d’une Histoire, celle d’un petit pays qui avait un Empire trop lourd à porter. Salazar a simplement essayé de tenir et préserver l’Empire portugais. Il a transformé les colonies en provinces, il les voyait comme des départements d’Outre-mer. Tout était ainsi fait pour les provinces, au détriment du reste : le Portugal est donc resté rural, arriéré, complètement fermé et mis en dehors de l’Europe. Les Portugais ne voudront plus d’un tel régime.

La question que se posent aujourd’hui les Portugais, notamment les élites intellectuelles du pays, est : quelle est la vocation historique du Portugal ? A l’instar de ce que l’on se demande sur l’identité européenne. Cette question provoque un mouvement de pensée qui prend de l’ampleur, et qui consiste à renouer avec les anciennes colonies (Angola, Cap Vert, Brésil, Macao…). Le Portugal croit en ce projet – un peu utopique – qu’est la lusophonie.

JOL Press : La forte communauté portugaise qui vit en France est-elle autant identifiée à l’Histoire du Portugal ?
 

Rosa Fréjaville : Absolument. Les Portugais aiment beaucoup l’Histoire. Vous n’en trouverez pas un qui ne connaît pas l’Histoire de son pays. Ils sont patriotes, fiers d’avoir pu accomplir une Révolution et donner un meilleur avenir à leurs enfants ; fiers d’avoir ouvert le Portugal. Les Portugais ont pu être ce qu’ils sont par nature, à savoir un peuple ouvert, adaptable et curieux des autres.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Rosa Maria Fréjaville est Maître de conférences à l’Université de Saint-Étienne en langue portugaise. Elle a surtout fondé, en 1989, l’Institut de langue et culture portugaises à Lyon. 

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