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Austérité et promesses non tenues: vers un «Printemps européen»?

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JOL Press : Quels liens peut-on faire entre les récentes manifestations qui ont eu lieu en Italie, en France et en Espagne ?
 

Chantal Delsol : Les manifestants ont, semble-t-il, les mêmes revendications. Ce sont des mouvements contre les Etats-providence qui s’appauvrissent. Un Etat-providence doit être très pragmatique pour faire face à ses obligations dans la durée. Quand le pragmatisme manque, quand la société est nourrie au lait de l’irréalisme et de l’utopie, croyant que l’Etat est un tonneau des Danaïdes, alors on a des manifestations de colère qui ne servent à rien, car cela revient à manifester contre la pluie ou contre la nécessité.

Vous remarquerez que ces manifestations ont lieu dans les pays latins. Les pays protestants, au lieu de s’encolérer contre leur Etat, de chercher des boucs émissaires, ont plutôt tendance à retrousser leurs manches et à mieux gérer le portefeuille social. Quand j’entends Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot, quel que soit par ailleurs leur talent, j’ai l’impression que ces gens ne nous considèrent pas comme des adultes, mais comme des bébés qui attendent la manne du ciel et pleurent quand elle ne tombe pas.

JOL Press : Comment expliquer ces mouvements alors que le plus dur de la crise semble derrière nous ? 
   

Chantal Delsol : Je ne sais pas si le plus dur est passé… Mais même si c’est le cas, ce que j’espère, il reste que beaucoup de gens souffrent. Il est très dur d’être chômeur ou de devoir se contenter d’un salaire diminué. Comme les politiques nous expliquent que nous avons droit à tout pour tous, que nous devons travailler de moins en moins pour gagner de plus en plus, que les gouvernements doivent garantir le logement et le reste, et que l’austérité reste un gros mot… alors il est normal que les citoyens se révoltent quand ils voient que la réalité est bien différente.

JOL Press : Peut-on uniquement expliquer ce ras-le-bol par les mesures d’austérité ?
 

Chantal Delsol : Au-delà des mesures d’austérité, je crois que les Européens en ont assez de cette Europe lointaine qui administre de façon tatillonne, ce qui est la loi du genre pour une administration. Mieux vaudrait une Europe qui gouverne, qui s’occupe de la crise ukrainienne au lieu de s’occuper de la définition du chocolat.

JOL Press : Cette colère semble s’amplifier à l’approche des élections européennes. Faut-il y voir un lien ?
 

Chantal Delsol : Je ne crois pas. Ce type de manifestation a déjà éclaté auparavant. En France en tout cas, il me semble que les élections européennes n’intéressent pas grand monde. On sait bien que c’est la Commission qui tranche et qu’elle n’est pas démocratique. Les élections européennes sont un prétexte aux épanchements nationaux.

JOL Press : La timide embellie économique et sociale de ces derniers mois n’était-elle qu’illusoire ? 
   

Chantal Delsol : Ne faut-il pas attendre un peu plus pour savoir s’il y a une embellie ? Sur le moment, les chiffres n’ont pas beaucoup de valeur, d’autant plus qu’ils peuvent être, non pas truqués, mais disposés d’une certaine manière. L’annonce triomphale, non pas d’une baisse, mais d’une baisse de la hausse du chômage, pouvait être un sujet de scepticisme quand on voit que le gouvernement croit tellement aux emplois aidés, et s’imagine qu’il pourra négocier avec les entreprises en termes de nombres d’emplois créés contre des baisses de charges. La création d’emplois n’est pas quelque chose que l’on peut planifier à grande échelle. Cela fait partie de l’initiative, du risque, de la décision individuelle, des circonstances.

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Chantal Delsol est journaliste, philosophe, écrivain et historienne des idées politiques. Elle est lauteur de nombreux essais politiques et historiques, dont Essai sur le pouvoir occidental : démocratie et despotisme dans lAntiquité (PUF, 1985), La Politique dénaturée (PUF, 1986), Les idées politiques au XXe siècle (PUF, 1991), Lidentité de l’Europe, (avec Jean-François Mattéi, PUF, 2010) ou La paresse et la révolte (Plon, 2011).

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