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Baisse des charges pour l’employeur: qui va financer la politique familiale?

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Le Premier ministre Manuel Valls a promis une baisse du coût du travail de 30 milliards d’euros d’ici à 2016 (Crédits: shutterstock.com)

A l’occasion de son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, a exposé une série de mesures destinées à relancer la croissance et restaurer la compétitivité des entreprises par l’allégement du coût du travail. Parmi elles, la suppression des cotisations patronales à l’Urssaf pour les employés payés au Smic. « C’est stupide et ruineux parce que les cotisations sociales lorsqu’elles ne sont pas versées doivent être intégralement compensées par le budget de l’Etat », a réagi le coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon. « Ce qui ne sera pas payé par les cotisations devra l’être par les contributions de l’impôt ». La question se pose en effet : comment cette baisse des charges va-t-elle être financée ?

JOL Press : Manuel Valls a promis la suppression des charges pour l’employeur d’un salarié payé au Smic au 1er janvier 2015. Cette mesure peut-elle concrètement permettre des embauches ?

Jean-Marc Daniel : S’il y a du chômage, c’est que la grille des salaires n’est pas en conformité avec la réalité des productivités du travail. Tous les experts le disent : le SMIC est un frein à l’embauche. En le réduisant, on favorise clairement l’emploi. Néanmoins, il y a trois bémols à mettre : d’abord le coût du travail ne se résume pas à son coût monétaire. S’il y a beaucoup de chômage chez les jeunes, c’est parce que le système scolaire ne fournit plus d’information crédible sur la qualité des formations qu’il délivre et que simultanément une erreur d’embauche est difficile à corriger du fait des restrictions au licenciement. La mesure ne sera pleinement efficace que si la politique de flexibilité est poursuivie et amplifiée.

Le deuxième bémol rejoint la formation. Les bas salaires correspondent à des faibles niveaux de qualification et la réponse la plus porteuse est de renforcer l’employabilité. Comme le système scolaire actuel est en état d’échec, il faut le contourner.  C’était le message des précédents gouvernements sur l’apprentissage, message qui n’est guère repris cette fois ci.

Enfin, la baisse à répétition des charges sociales déstabilise le financement de la sécurité sociale. Quand on annonce 10 milliards d’euros d’économie sur les dépenses de santé on crée des anticipations à la hausse des cotisations des mutuelles. Ne pas voir que les cotisations sociales financent des prestations et que la population n’a pas l’intention de renoncer à ces prestations perturbe l’efficacité du système

JOL Press : « Pour les salaires allant jusqu’à trois fois et demi le smic, c’est-à-dire plus de 90% des salariés, les cotisations famille seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016 », a-t-il aussi annoncé. Comment cela peut-il s’organiser ?

Jean-Marc Daniel : Très simplement. Le taux va passer de 5,25%, le taux actuel depuis le 1er janvier dernier à 3,45%. La vraie difficulté est là encore de savoir qui va financer la politique familiale. Au passage, soulignons que cette politique familiale est un des rares succès français et il est étrange de constater l’acharnement de cette majorité à la détruire.

JOL Press : Ce type de mesure a-t-il été déjà expérimenté ?

Jean-Marc Daniel : La baisse des charges sur les bas salaires est un des grands classiques de nos politiques pour l’emploi. Le bilan est mitigé dans la mesure où, comme je disais, il faut avoir une approche plus globale du problème de l’emploi et notamment de l’emploi non qualifié. Il n’en reste pas moins – il faut insister là-dessus – que des salaires déconnectés de la réalité économique des salariés et de la productivité conduisent automatiquement au chômage.

JOL Press : Les petites entreprises ne vont-elles pas profiter de cette mesure pour faire des économies ou se remettre à flot ?

Jean-Marc Daniel : Certaines le feront et il faut s’en réjouir car la priorité de l’économie n’est pas l’emploi en tant que tel – sinon, les économies des démocraties populaires des années 60 seraient un modèle – mais la croissance. La règle fondamentale reste le « théorème de Schmidt » : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Dans la situation actuelle, les entreprises ont besoin en priorité de reconstituer leurs marges. D’où des mesures prises en plus de la baisse des charges comme la suppression de la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés) et l’annonce d’une réduction de l’impôt sur les sociétés jusqu’à 28%. Je pense d’ailleurs que ces mesures sont, sur le plan macro-économique, plus utiles que les baisses de charge. 

JOL Press : Les salariés seront-ils eux aussi exonérés de charges ?

Jean-Marc Daniel : Il est prévu, en effet, de réduire les cotisations salariales de façon à augmenter de 500 euros par an le SMIC net. Le gouvernement précédent avait envisagé de passer par la prime pour l’emploi. Quel que soit le canal utilisé, il s’agit d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres. Le seul problème est là encore un problème de financement. Les 30 milliards d’euros du pacte de responsabilité ne sont pas extensibles à l’infini. Et leur financement par 50 milliards d’euros d’économie en est encore au stade de l’annonce…

JOL Press : Les employeurs n’auront-ils pas forcément plus intérêt à payer un salarié au Smic ?

Jean-Marc Daniel : La mesure décrite ci-dessus ne coûtera rien aux entreprises. Elles donneront plus aux salariés mais moins à la sécurité sociale. Pour elle, c’est neutre. En fait le monde de l’entreprise pourrait se montrer plus pressant sur l’aspect « financement de la sécurité sociale ». En théorie, celle-ci est gérée par les partenaires sociaux. Or l’Etat prend des décisions ayant un impact colossal sur cette gestion sans se soucier d’eux. Cela achève de signer la fin d’un certain paritarisme. Le prochain chantier de réforme portera sur l’Etat providence et notamment la fiction de la gestion paritaire héritée des années 40.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Marc Daniel a alterné des fonctions dans l’administration active (direction régionale de l’INSEE à Lyon, direction du Budget, régime de Sécurité sociale des mineurs, ministère des Affaires Etrangères), dans les cabinets ministériels (au ministère de la Culture et au ministère des Affaires Etrangères) et dans des fonctions d’économiste et d’enseignant (chargé d’étude à l’OFCE, cours donnés à ESCP Europe, à l’Ecole des Mines, à Paris X et à l’ENSAE).

A l’heure actuelle, outre ses cours à ESCP Europe, il est responsable de l’enseignement d’économie aux élèves – ingénieurs du Corps des mines. Il est également membre du conseil d’administration de la Société d’Economie Politique. Il travaille essentiellement sur la politique économique, dans ses dimensions théoriques et dans ses dimensions historiques.

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