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Chine: «L’autocensure est plus importante que la censure d’Etat»

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JOL Press : Des séries américaines ont été bannies de l’Internet chinois. Cela vous surprend-t-il ?
 

Jean-Vincent Brisset : Non. Ce genre de choses arrive fréquemment. En Chine, il existe une censure permanente des médias, du monde culturel et du Web. Je ne connais pas le contenu des séries incriminées, mais il suffit d’une référence à une question épineuse pour expliquer leur retrait (Tibet, droits de l’homme etc.). Ces interdictions pourraient aussi avoir une raison strictement commerciale dans le cas, par exemple, où ces séries concurrenceraient leurs équivalents chinois.

JOL Press : Plus largement, quelle est l’importance de la censure en Chine ?
 

Jean-Vincent Brisset : Il faut faire la différence entre la censure du gouvernement, qui passe par l’interdiction d’articles ou de manifestations, et l’autocensure, qui est beaucoup plus importante. Les Chinois s’interdisent de dire des choses qui pourraient déplaire et les mettre dans une position délicate. Cette autocensure concerne principalement des problèmes de fond : gestion des catastrophes naturelles, pollution, corruption des membres du Parti…

JOL Press : Que craignent les responsables politiques ?
 

Jean-Vincent Brisset : La stabilité sociale est l’obsession de tous les gouvernements chinois depuis des millénaires. Pour maintenir l’ordre et l’harmonie, les autorités sont prêtes à tout : exercer une censure draconienne bien sûr, mais aussi tirer sur des manifestants.

JOL Press : A quel point la censure du Web est-elle étroite ?
 

Jean-Vincent Brisset : Les choses ont beaucoup évolué. Il y a quelques années, il suffisait d’écrire le mot «freedom» (liberté) en tchat pour que la communication soit coupée. Désormais, les VPM (Virtual Private Network, réseau privé virtuel, ndlr) permettent de surfer beaucoup plus librement. Twitter, Facebook et Youtube sont bloqués en Chine… ce qui n’empêche pas les internautes d’utiliser ces réseaux sociaux.

Il ne faut pas s’y tromper, les autorités sont capables de voir qui est sur Facebook et qui fait quoi sur ce site. Encore une fois, l’essentiel pour le gouvernement est de maintenir l’ordre social. S’il n’est pas menacé, on ferme les yeux.

JOL Press : Quelles sont les peines encourues par les internautes qui ne respectent pas les règles ?
 

Jean-Vincent Brisset : Les auteurs d’un message jugé diffamatoire risquent jusqu’à trois ans de prison ou une assignation à résidence. Les peines peuvent être plus lourdes – en cas de divulgation d’un secret d’Etat par exemple – mais c’est rare. Les internautes qui critiquent le régime sur Internet peuvent aussi passer devant la commission de discipline de leur entreprise et se faire licencier.

JOL Press : Quels sont les autres domaines frappés par la censure ?
 

Jean-Vincent Brisset : La censure touche la vie quotidienne, d’où cette autocensure permanente dont je parlais plus tôt. On ne s’exprime pas librement, que ce soit sur le Web ou avec son voisin. Il existe toujours des comités de quartier pour surveiller la rectitude politique de chacun.

Le ministère de la Vérité envoie des communiqués aux médias pour dire la signification qu’il faut donner à tel ou tel événement. Ça fait partie du jeu. Entre ce que les journalistes chinois écrivent et ce qu’ils pensent, il y a parfois un gouffre. Il existe d’ailleurs des codes pour signaler un article avec lequel on n’est pas d’accord.

Un exemple : Mao Zedong. «Mao» signifie «le chat» et «Zedong» peut vouloir dire «automatique» selon la façon dont on l’écrit. Pour signaler un papier dicté par la propagande, on peut faire figurer en tout petit un dessin représentant un chat avec une clé dans le dos, comme une souris mécanique.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Le Général de brigade aérienne (e.r.) Jean-Vincent Brisset est directeur de recherche à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Ses principaux domaines d’expertise sont les questions de défense et relations internationales, ainsi que la Chine et les questions stratégiques en Asie.

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