Jusque dans les années 1970, le sentiment antiaméricaniste était largement répandu dans la société et la classe politique françaises. Désormais, la critique de l’impérialisme américain est essentiellement le fait des vieilles générations ou de personnes qui se situent à l’extrême gauche de l’échiquier politique.
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JOL Press : Comment l’antiaméricanisme a-t-il évolué dans l’Hexagone ?
François Durpaire : Il y a 40 ans, ce sentiment se retrouvait dans tous les partis politiques français : à gauche pour des raisons idéologiques liées à la Guerre froide, à droite avec un gaullisme reposant sur une indépendance nationale, et à l’extrême droite qui est en opposition avec la diversité ethnique de la société américaine. A l’inverse, nos deux derniers présidents ont montré des signes atlantistes forts. Sur ce point, on n’observe pas de rupture entre Nicolas Sarkozy et François Hollande.
On peut d’ailleurs souligner un élément de langage intéressant : lors de sa visite aux Etats-Unis (en février 2014, ndlr), le chef de l’Etat a évoqué les liens de la France avec Barack Obama pour parler des relations franco-américaines. On préfère être du côté de l’Amérique d’Obama, qui est un président très populaire à l’étranger, que de l’Amérique tout court.
JOL Press : Et sur le plan sociétal, que peut-on dire de l’antiaméricanisme en France ?
François Durpaire : D’après les indicateurs dont on dispose (voir ici), on observe un fort recul de ce sentiment. Les jeunes générations perçoivent les Etats-Unis comme un pays plus ouvert. Ce qui peut s’expliquer par les différents blocages de la société française (difficulté d’entreprendre par exemple) ou par les discriminations (racistes, sexistes, homophobes…) dont les jeunes peuvent être victimes sur notre territoire national.
JOL Press : Que reste-t-il de l’antiaméricanisme en France aujourd’hui ?
François Durpaire : Ce sentiment est souvent le fait de générations plus anciennes ou de personnes qu’on peut situer à l’extrême gauche de l’échiquier politique. La critique de l’impérialisme américain, qui est une sorte d’héritage de la Guerre froide, a notamment été observée au début du conflit en Syrie : invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon s’était lancé dans une diatribe antiaméricaine en affirmant que la France ne devait pas se ranger derrière les Etats-Unis. Ces propos étaient déplacés car Obama a demandé l’aval du Congrès pour intervenir dans les jours suivants.
On peut aussi souligner une forme d’antiaméricanisme relatif à la société américaine, qui est perçue par des intellectuels et des politiques comme une société communautariste. Pour eux, la France aurait à défendre son modèle républicain, avec des communautés qui interagissent, face à une société américaine, qui serait une juxtaposition de différentes communautés qui ne se parleraient pas. Cette vision témoigne d’une méconnaissance et d’une appréciation erronée des Etats-Unis, où l’on observe par exemple une explosion des mariages mixtes et du nombre de métisses.
JOL Press : Ce sentiment antiaméricaniste se manifeste-t-il autrement ?
François Durpaire : On peut noter un regain de méfiance à l’égard de la puissance numérique des Etats-Unis. Ce qu’on disait de la force des armes américaines il y a 20 ans est valable aujourd’hui pour la force américaine sur Internet. On reproche ainsi aux Etats-Unis – à raison dans le cas de l’affaire Snowden notamment – d’espionner l’ensemble de la planète. Il est toutefois difficile de parler d’antiaméricanisme stricto sensu dans la mesure où les reproches sont fondés. De plus, ces critiques s’adressent au gouvernement américain et non à la population américaine.
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François Durpaire est historien, spécialiste des Etats-Unis. Il est enseignant à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Que Sais-je ? Sur l’Histoire des Etats-Unis (PUF, 2013) ; Les Etats-Unis pour Les Nuls avec Thomas Snégaroff (First, 2012) ; L’Amérique de Barack Obama (Demopolis, 2007). Son site : www.durpaire.com.