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Coopération économique: «La France a une carte à jouer au Mexique»

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JOL Press : François Hollande est en visite d’État de deux jours au Mexique. Qu’est-ce qui a été mis en place par les deux pays pour renforcer leur partenariat depuis l’accession des deux présidents respectifs au pouvoir ?
 

Gaspard Estrada : L’arrivée au pouvoir de ces deux présidents, Enrique Peña Nieto et François Hollande, a permis de mettre fin à un contentieux important qui durait depuis les mandatures précédentes de Nicolas Sarkozy et Felipe Calderon et qui avait ralenti les relations entre les deux pays. Un Conseil stratégique franco-mexicain élargi a été mis en place. Il existait déjà mais portait uniquement sur les questions économiques. Il a donc été élargi aux questions politiques et ouvert à des membres de la société civile et de la culture pour essayer, dans tous les sujets, d’avoir une vision plus stratégique et plus englobante de ces relations bilatérales qui devaient être relancées.

Parallèlement à ce Conseil stratégique, il y a eu une multiplication des visites ministérielles, tant du côté français que du côté mexicain. L’aboutissement de ce travail qui a eu cours pendant toute l’année 2013 est consacré par cette visite d’État de François Hollande au Mexique, qui devrait être suivie, d’ici fin 2014 ou début 2015, par une visite du président mexicain en France.

JOL Press : Quels contrats devraient être signés entre la France et le Mexique ?
 

Gaspard Estrada : Le premier contrat qui doit être signé entre les deux pays porte sur le secteur aéronautique qui est un secteur en pleine croissance : il y a donc la signature d’une vente d’hélicoptères à l’armée mexicaine. Un pôle de compétitivité est également en train de se mettre en place dans la ville de Queretaro, où François Hollande doit se rendre vendredi. Ce pôle sera doté d’un fonds de 250 millions d’euros, visant à permettre aux PME françaises de s’installer au Mexique pour créer une chaîne de valeurs autour de l’aéronautique.

Il y a également la signature d’une usine de fabrication de drones dans le nord du pays par l’entreprise Safran, et une trentaine d’accords de coopération vont être signés dans des domaines très divers. D’autres contrats devraient suivre, mais il faudra sûrement attendre le déplacement du président mexicain en France.

JOL Press : Le Mexique est la deuxième économie d’Amérique latine. Qui sont les concurrents de la France au Mexique en termes d’investissements ?

Gaspard Estrada : Il faut d’abord avoir à l’esprit que le Mexique a des relations très spéciales avec les États-Unis qui représentent l’essentiel de ses échanges extérieurs. La Chine est également un partenaire de choix pour le Mexique. Parmi les pays européens, l’Allemagne est très présente au Mexique (notamment dans l’exportation de biens à haute valeur ajoutée), mais également l’Espagne qui est un partenaire historique.

La France a un volume assez faible, qui correspond à celui d’autres concurrents européens. Mais l’ambition du gouvernement français est de doubler ses échanges qui étaient de 4 milliards de dollars l’année dernière, pour passer à 7 voire 8 milliards de dollars à la fin du quinquennat de François Hollande. C’est un objectif ambitieux mais si les Mexicains sont prêts à faire le pas, je ne pense pas que cela soit impossible, sachant que nous partons d’une base assez basse.

JOL Press : Un diplomate interrogé par l’AFP estime que « le potentiel du pays n’a pas été pleinement exploité ». Qu’en pensez-vous ?
 

Gaspard Estrada : Je partage ce point de vue, car le Mexique est un pays qui a énormément d’atouts. La France, du fait des bonnes relations qui ont toujours existé entre les deux pays, a une carte à jouer au Mexique, d’autant plus qu’il a besoin de diversifier ses partenaires extérieurs.

La crise qui a eu lieu en 2009 et a plongé le Mexique dans une grave récession – le Mexique a eu une croissance négative de 8% en 2009 – a fait voir aux décideurs politiques mexicains une dépendance extrême vis-à-vis des États-Unis, qui pouvait lui être nuisible en cas de renversement de conjoncture. Il en va de l’intérêt du Mexique et des Mexicains de diversifier ses partenaires, et je pense que la France peut être un partenaire de choix.

JOL Press : Quinze mois après l’accession d’Enrique Peña Nieto au pouvoir, quels sont les grands chantiers lancés par le président pour relancer l’économie mexicaine ?
 

Gaspard Estrada : Le président Peña Nieto s’est engagé dans un vaste chantier de réformes, que ce soit dans le domaine politique, fiscal, de l’éducation, des télécom, de l’énergie… La question est maintenant de savoir si les décrets d’application de ces réformes, qui pour la plupart ont déjà été votés, permettront de corroborer l’ambition du président.

Pour le moment, il s’agit en effet de lois-cadres qui visent à faire sauter les verrous d’un certain statu quo qui avait prévalu lors des gouvernements précédents qui n’avaient pas réussi à faire voter ce genre de réformes. Toutefois, il faut bien avoir à l’esprit que les groupes d’intérêts qui sont à l’origine de ce statu quo ne vont pas se laisser faire aisément et vont donc tout faire, à mon sens, pour limiter la portée de ces décrets d’application. Nous saurons dans les prochains mois si ce nouveau gouvernement a les marges de manœuvres suffisantes pour appliquer sa politique.

JOL Press : Les questions d’insécurité et de trafic de drogue sont souvent évoquées à l’étranger au sujet du Mexique, et peuvent freiner l’investissement étranger. Comment le Mexique cherche-t-il à donner une autre image du pays à l’étranger ?
 

Gaspard Estrada : Il me semble que c’est une des questions clés de la nouvelle stratégie du gouvernement Peña Nieto. Il a décidé de communiquer autrement, et surtout de ne plus communiquer sur les questions de lutte contre le crime organisé, qui était quand même un élément central de la communication gouvernementale du gouvernement précédent. Il me semble que c’est une bonne chose, parce que parler uniquement du crime organisé revient à insister sur ce sujet et cela peut avoir un effet « boule de neige ».

Le problème pour le gouvernement Peña Nieto, c’est que même si l’on ne communique plus sur ce sujet, la perception de l’insécurité chez les Mexicains demeure. Les Mexicains sont impatients, et à juste titre parce que ce sont quand même eux qui subissent l’insécurité. Concernant la presse internationale, le gouvernement a fait une vaste offensive de communication qui a plus ou moins bien marché. Les grands titres de la presse internationale parlent d’un « Mexico’s moment » concernant, notamment, les investissements étrangers.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Gaspard Estrada est un analyste politique et responsable de la communication et de la presse de l’OPALC (Observatoire des pays d’Amérique latine et des Caraïbes) au CERI de Sciences Po. Il est spécialiste de la France, du Mexique et du Brésil. Il est l’auteur de plusieurs tribunes sur l’état des relations entre la France et l’Amérique latine.

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