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Drame du Rana Plaza: un an après, les responsables font-ils la sourde oreille?

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JOL Press : Un an après l’accident du Rana Plaza, pourquoi l’indemnisation des victimes traîne-t-elle autant ?
 

Vanessa Gautier : Un fonds d’indemnisation a été créé, regroupant les parties prenantes, à savoir les organisations syndicales, locales et internationales, les ONG, les autorités bangladaises, l’Organisation Internationale du Travail… Ce fonds est aujourd’hui opérationnel. On estime que pour obtenir une indemnisation complète, 40 millions de dollars a minima seraient nécessaires. Ce chiffre ne couvre que la perte de revenus des personnes dépendantes ou qui ne peuvent plus travailler, ainsi que les frais médicaux. Il ne prend même pas en compte d’éventuels dommages et intérêts ! Malheureusement, seulement 15 millions de dollars ont été réunis à ce jour.

Quinze marques à peine ont participé à ce fonds d’indemnisation. Quatorze d’entre elles ont mis 7 millions en commun : ces donations sont extrêmement faibles par rapport au poids de ces entreprises dans le marché bangladais.

JOL Press : Parmi les entreprises concernées par cet accident, Auchan et Carrefour nient plus ou moins leur responsabilité. Pourquoi cette position ?
 

Vanessa Gautier : Dès le lendemain du drame, les marques ont toutes nié leur lien avec le bâtiment. Elles n’ont reconnu un lien de sous-traitance – comme Auchan – qu’une fois les preuves fournies de leur implication. Et encore, Auchan n’a déclaré que des « fortes suspicions sur l’un de ses fournisseurs ». Quant à Carrefour, la firme nie tout lien avec le Rana Plaza.

JOL Press : Quid du volet judiciaire des suites de cet accident ?
 

Vanessa Gautier : Nos partenaires, sur place, ont surtout essayé de retrouver des étiquettes, dans les décombres, pour nous permettre d’identifier ces marques. Mais l’opacité totale qui règne sur la filière textile rend parfois difficile de savoir pour quelle grande marque occidentale travaillait telle usine. Nous dénonçons d’ailleurs cette opacité qui empêche la traçabilité des produits.

Quant aux suites judiciaires, elles tiennent dans des processus juridiques engagés au niveau local afin que les victimes puissent obtenir des dommages et intérêts. Néanmoins, au vu de l’impact minime de ce niveau local et de l’étau dans lequel est pris l’État – sous l’emprise de ces grandes marques qui tiennent l’économie du pays – nous considérons que ces entreprises doivent prendre acte de leurs responsabilités et mettre la main à la poche.

JOL Press : On peut néanmoins comprendre la position d’Auchan ou de Carrefour, qui refusent de participer à une indemnisation tant que leur responsabilité n’a pas été prouvée…
 

Vanessa Gautier : Il est clair qu’aujourd’hui, nous sommes devant un vide juridique total, qui fait qu’on ne peut pas contraindre une entreprise française à assumer ses responsabilités dans un pays tiers. Tout le problème est là : le fonds d’indemnisation se base sur la bonne volonté des entreprises, puisque nous n’avons pas d’outils juridiques pour les contraindre à payer.

Nous ne pouvons pas prouver. Avec nos partenaires locaux, nous cherchons simplement des éléments de preuve. Au vu de ceux-ci, les entreprises décident ou non de reconnaître leur responsabilité. Si ce n’est pas le cas, nous n’avons aucun moyen de l’affirmer de notre côté.  

JOL Press : Outre les suites directes de cet accident, les leçons ont-elles été tirées quant à la sécurité du travail au Bangladesh ?
 

Vanessa Gautier : Peu de choses ont changé dans le quotidien d’un travailleur dans une usine bangladaise. Les salaires restent très faibles, les conditions de sécurité ne sont pas toujours garanties, malgré davantage d’attention quant à la sécurité des bâtiments.

En revanche, un accord a été signé par quelques 150 marques occidentales sur la sécurité des bâtiments et les incendies. Il devrait permettre de sécuriser un tiers des usines du Bangladesh. Si cet accord donne un peu d’espoir, il ne concerne malheureusement que le Bangladesh, et ne porte que sur la sécurité des bâtiments.

JOL Press : Comment ont réagi les entreprises que vous avez contactées sur les questions de responsabilité et d’indemnisation des victimes ?
 

Vanessa Gautier : Nous les avons interpellées en privé, dans un premier temps, afin de voir quelle est leur position et d’engager un dialogue. Dans le cas contraire, nous passons à une communication publique en faisant monter une pression médiatique sur ces grandes marques.

JOL Press : Le gouvernement français est-il intervenu sur ces questions ?
 

Vanessa Gautier : Le gouvernement a auditionné un certain nombre d’acteurs. L’ex-Ministre du commerce extérieur, Nicole Bricq, a quant à elle sollicité l’OCDE pour enquêter sur cette question et faire des recommandations pour les entreprises. Pour nous, ce ne sont que des micro-mesures qui ne contraignent aucunement les entreprises à prendre leurs responsabilités.

Le gouvernement ne va pas assez loin, sans doute pour ne pas pénaliser les activités des entreprises multinationales implantées au Bangladesh, qu’ils estiment être des acteurs importants de l’économie. Cette prudence est compréhensible, mais empêche de garantir le respect des droits humains et environnementaux dans un pays comme le Bangladesh.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Vanessa Gautier est coordinatrice des appels d’urgence pour l’association Peuples solidaires. Fondée en 1983, elle a notamment pris la défense, depuis un an, des victimes de l’effondrement du Rana Plaza Au Bangladesh.  

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