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Droit d’asile en France: une situation de plus en plus préoccupante

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La situation en matière de droit d’asile en France est particulièrement préoccupante (Crédits: shutterstock.com)

La situation en matière de droit d’asile en France est alarmante, selon les conclusions du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) publiées mardi 15 avril par Le Figaro. D’après ce rapport, en matière d’asile tous les coûts prévisionnels ont été dépassés, notamment en « hébergement d’urgence » avec une facture qui atteint 90 millions d’euros pour ce seul poste.

JOL Press : Comment fonctionne le droit d’asile aujourd’hui en France ?

Jean-Michel Belorgey : Le droit d’asile repose sur la Convention de Genève et le protocole de New-York qui l’a complétée. Mais ces instruments internationaux ne prévoient pas de mécanismes d’identification des réfugiés ayant des mérites suffisants pour se voir reconnaître cette qualité. C’est à chacun des pays de définir le mécanisme de reconnaissance de la qualité de réfugié. Les instruments internationaux emploient le terme de réfugié d’une façon un peu confuse et ne font pas la distinction entre demandeurs d’asile et réfugiés reconnus.

C’est la France qui a organisé, à partir du début des années 50, un système de reconnaissance qui repose sur l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui examine les demandes d’asile. Le système s’est un peu compliqué quand la loi, s’inspirant en partie des règlements européens, s’est dirigée vers un droit européen d’asile. Aujourd’hui, une personne qui entre sur le territoire et qui demande l’asile peut se faire refuser le titre provisoire de séjour qui est nécessaire pour pouvoir déposer une demande à l’OFPRA. Pour avoir un titre provisoire de séjour, par exemple, il faut avoir une domiciliation.

Certaines personnes qui ne remplissent pas les conditions voient leur demande refusée : soit parce que ces personnes viennent de pays « sûrs » – les pays européens plus que les autres – soit parce que la demande de droit d’asile est infondée. Entrer sur le territoire sans se faire rejeter, trouver une domiciliation, obtenir un titre provisoire de séjour et déposer son dossier à l’OFPRA : tel est le parcours du combattant d’un demandeur d’asile.

JOL Press : Selon les conclusions du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), tous les coûts prévisionnels ont été dépassés, notamment en ce qui concerne l’« hébergement d’urgence ». Comment l’expliquer ?

Jean-Michel Belorgey : Je ne connais pas les détails des coûts prévisionnels, mais ce que je sais c’est qu’il y a énormément de demandeurs d’asile qui sont à la rue car le dispositif d’hébergement est saturé. On a progressivement réduit les crédits en matière d’hébergement, du coup, les structures de domiciliation ne peuvent pas accueillir tous ceux qui le demandent et ne peuvent plus aider à la constitution des dossiers de demande d’asile devant  l’OFPRA – ce qui était auparavant leur prérogative. Les personnes sont donc de plus en plus démunies d’autant que l’aide juridictionnelle (la possibilité d’avoir un avocat gratuit) existe devant la Cour nationale du droit d’asile mais aucune aide juridique n’ai prévu pour aller voir l’OFPRA.

JOL Press : D’après les rapporteurs, « la population de déboutés (mineurs inclus) était de l’ordre de 45 000 personnes en 2013 et 43 500 personnes en 2012 ». Comprenez-vous ce phénomène ?

Jean-Michel Belorgey : Même si le nouveau directeur de l’OFPRA a fait des déclarations intéressantes disant qu’il était conscient du rétrécissement indu des acceptations, le fait est que les officiers de protection ont des techniques pour éconduire les demandeurs d’asile qui sont extrêmement perverses. Pour que la demande d’asile soit acceptée, alors que la loi stipule qu’il faut uniquement accréditer, c’est-à-dire rendre plausible, son récit de percussion, la tendance est de demander des preuves de ces persécutions. Or les tortionnaires ne délivrent pas de preuves. Je crois aussi qu’il y a une mauvaise interprétation d’un certain nombre de procédés pour savoir si les gens sont sincères ou s’ils ne le sont pas.

A la Cour nationale du droit d’asile, beaucoup de gens, dans le monde administratif sont des hommes de droits ou de gestion qui n’ont pas beaucoup voyagé, qui ne réalisent pas toujours quelle est la situation dans les pays tropicaux ou troublés, qui se font des illusions sur le fonctionnement de la justice ou de la police en Géorgie ou ailleurs et qui ne comprennent pas le rapport à l’espace ou le rapport au temps de demandeurs d’asile issus de culture différente. Certains se donnent même pour mission de lutter contre « l’envahissement ». Aujourd’hui la moitié des demandes d’asile qui sont acceptées le sont à la suite d’un recours à la Cour nationale du droit d’asile.

JOL Press : Pour 45 000 déboutés en 2013, les obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées n’ont été que de 19 000. Que se passe-t-il pour ces gens-là ?

Jean-Michel Belorgey : Tous ceux qui voient leurs demandes d’asile refusées ne sont pas forcément obligés de quitter le territoire. La plupart d’entre eux finiront dans la clandestinité.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Michel Belorgey a été, de 1968 à 2013, membre du Conseil d’Etat, dont il a présidé la section du rapport et des études ; alors qu’il était député, entre 1981 et 1993, il a présidé l’intergroupe des parlementaires membres de la Ligue des droits de l’homme, et, de 1981 à 1986, le Comité d’entraide franco-vietnamien, franco-cambodgien, franco-laotien. Il est aujourd’hui membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et président de section à la Cour nationale du droit d’asile.

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