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Du nucléaire militaire et de notre Force de Dissuasion

J’assistais, mardi 1er avril, aux obsèques de Roger Baléras, qui fut pendant de nombreuses années Directeur des Applications Militaires au sein du Commissariat à l’Energie Atomique.

Ce petit bonhomme à l’esprit vif et au regard pétillant d’intelligence était un grand monsieur, un très grand monsieur malheureusement inconnu du grand public.

C’est en effet à lui et aux équipes qu’il a dirigées que l’on doit notre force de dissuasion nucléaire, qui est tout à fait à la pointe de ce que l’on fait de mieux dans le monde, grâce aux techniques innovantes qu’il a su développer et nous devons lui en savoir gré.

Il faisait partie de ceux à qui le général de Gaulle avait confié le soin de développer une force de dissuasion nucléaire stratégique (FNS)  indépendante qui a su conférer à notre pays le statut de grande puissance reconnue dans le monde.

Au moment où l’on entend ici ou là des personnalités se prononcer pour l’abandon de notre FNS et pour l’abandon du nucléaire comme arme de dissuasion, je me pose la question de savoir si ces personnalités ont bien mesuré la portée de leurs paroles.

Savent-ils que dans le monde actuel nombre de pays se dotent de l’arme nucléaire comme assurance pour leur défense ? Il est inutile, me semble-t il, de se perdre en discussion sur le bien ou le mal de ce constat : le fait est là ! Si nous prenions la tête d’une grande opération de dénucléarisation nous serions dans l’utopie, et on ne peut que sourire à l’idée qu’une telle proposition impressionnerait des pays comme- pour ne citer qu’eux- l’Iran ou la Corée du Nord qui, dans un grand élan abandonneraient sur le champ leurs projets ! La réponse est très simple, nous resterions seuls avec nos  grandes idées  généreuses  qui nous conduiraient à confier notre assurance sécurité à d’autres.

Savent-ils que si nous abandonnions, nous disperserions les équipes d’ingénieurs et de techniciens, et que ce serait un voyage sans retour, car nous ne pourrions pas revenir en arrière au cas où la conjoncture mondiale exigerait de nous pour assurer notre sécurité de revenir au nucléaire comme arme de dissuasion ?

Savent-ils que nous avons mis plus de cinquante années de recherche, de travail, d’investissement pour mettre sur pied cet instrument de très haute précision qui nous a permis d’être à la pointe en matière de miniaturisation, d’usinage, de fiabilité, de simulation : cet instrument on peut le casser en une semaine ! Que nous resterait-il ? Certainement des regrets et de l’amertume d’être passé à côté de ce qui assure d’une certaine manière la grandeur et la survie de notre pays.

Savent-ils enfin que les ressources libérées – s’il y en avait- ne seraient en aucun cas transférées aux autres composantes de la Défense dont le pouvoir d’achat continuerait à s’éroder comme il le fait régulièrement. Nous n’aurions en effet pas plus de bateaux, de chars ou d’avions….

Savent-ils enfin que la défense européenne se fera certainement un jour plus ou moins lointain et que la grande entité que représenterait alors l’Europe ne pourrait se passer pour sa Défense de disposer d’une dissuasion nucléaire ; nous sommes le seul pays en Europe à posséder une force nucléaire indépendante autour de laquelle pourrait s’agréger les éléments d’autres nations ? Si ce n’était pas le cas  cette nouvelle Europe devrait confier sa Défense à d’autres, avec la perte d’indépendance y afférent. Ne fut-ce que pour cette seule raison nous nous devons de conserver notre instrument de défense.

Déjà de nombreux efforts ont été réalisés afin d’adapter notre FNS à l’évolution du monde : les missiles du plateau d’Albion ont été démantelés, car il n’y avait aucune raison pour que nous continuions à entretenir trois composantes alors que l’URSS et le pacte de Varsovie avaient disparus en tant que menace. D’autres adaptations ont eu lieu en matière de volume des composantes sous marine et aéroportée. D’autres petites adaptations peuvent encore éventuellement être envisagées, mais elles ne pourront être que mineures, car nous arrivons à l’étiage.

Par ailleurs on entend ici ou là que la suppression de la composante aéroportée pourrait être envisagée. Mais sait-on que sa disparition n’amènerait qu’un bénéfice minime en matière de ressources ? En effet les avions et les armes sont développés. Mais dans cette hypothèse, nous perdrions beaucoup en matière de crédibilité car la composante sous marine, qui est et  restera le grand système central, se doit d’être assistée par une composante plus flexible plus adaptable et surtout plus démonstrative mise à la disposition du pouvoir politique dans la dialectique de la dissuasion.

Nous ne devons en aucun cas céder aux sirènes de l’abandon d’une défense reposant sur une dissuasion nucléaire. Les différents Présidents de la République qui se sont succédés, l’ont affirmé avec force, et le dernier Livre Blanc sur la Défense et le Sécurité l’a dernièrement confirmé, ce qui n’empêche pas certains, poussés par une idéologie anti-nucléaire,  par angélisme ou simplement mus par l’idée de dégager des ressources pour le « conventionnel » de lancer ici ou là des idées, qui je l’espère ne seront jamais mises en application. Le président Georges Pompidou, peu de temps avant sa mort, avait en revenant de la conférence de Pitsounda  dit « qu’il avait mesuré le poids de notre dissuasion nucléaire ».

Je remuais ces pensées devant de cercueil de Roger Baléras en me disant que toute l’énergie toute la ténacité, tout le génie qu’il avait fournis avec ses équipes pour amener notre pays à ce niveau d’excellence ne pouvait pas devoir être perdus à la suite de décisions qui seraient sans nul doute irresponsables. Des hommes comme Roger Baléras se doivent d’être honorés et leur nom demeurer parmi ceux qui ont participé à la grandeur de la France.

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