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Evry: le laboratoire de Manuel Valls

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Élu maire d’Evry en 2001, Manuel Valls a su démontrer l’efficacité de sa politique mais aussi certaines de ses faiblesses. De quelle manière cette expérience va-t-elle avoir de l’influence sur sa nouvelle mission de chef de gouvernement ? Eléments de réponse avec Jacques Hennen, coauteur avec Gilles Verdez de Manuel Valls, les secrets d’un destin (Editions du Moment – juin 2013). Entretien.

JOL Press : Peut-on parler de parcours sans faute pour Manuel Valls ?

Jacques Hennen : Lui considère qu’il a entrepris un parcours sans faute, ses opposants pensent en revanche que son bilan au ministère de l’Intérieur est très mitigé, puisque les chiffres de la délinquance n’ont pas été très bons. Mais en termes d’image, de communication et de parcours, on peut parler d’un sans-faute. Certains parlent de parcours éclair ; il est vrai qu’il arrive à 52 ans à un poste important mais je pense, pour ma part, qu’il aura mis du temps à devenir Premier ministre.

Tout le monde l’oublie mais il faut rappeler qu’il a passé vingt années sur le terrain comme élu local : dix ans à Argenteuil, en tant qu’adjoint au maire de 1989 à 1998, et dix à Evry en tant que maire. Manuel Valls n’est pas un petit nouveau, c’est quelqu’un qui vient de loin et qui se dirige petit à petit vers son objectif : la magistrature suprême.

JOL Press : Quel maire a-t-il été à Evry ?

Jacques Hennen : Evry, c’est son laboratoire. Il en est très fier. Son mandat de maire a été la plus belle période de sa vie politique. Après un cuisant échec aux législatives de 1997, où il a échoué au premier tour dans la circonscription d’Argenteuil (Val-d’Oise), devancé notamment par Robert Hue, il a été parachuté dans cette ville que je connais bien puisque j’y ai travaillé plusieurs années au début des années 90. Avant l’arrivée de Manuel Valls en 2001, Evry était une ville nouvelle totalement à l’abandon qui souffrait de problèmes d’urbanisme et de sécurité avec un taux de criminalité très élevé. Ce n’était pas une ville où il faisait bon vivre.

Il s’est battu de toutes ses forces pour s’imposer dès la première campagne, il a réussi son coup et après il a vraiment réalisé son rêve : il a changé une ville. Objectivement, force est de constater qu’il y a eu un avant et un après Manuel Valls à Evry. Son plus grand chantier a été la sécurité. Il a immédiatement multiplié par deux ou trois le nombre de policiers municipaux et a installé un commissariat de police au sein du gigantesque centre commercial Evry 2 qui était le lieu où les bandes se retrouvaient. Pour la petite histoire, c’est un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui était venu inaugurer le commissariat.

En dix ans, Manuel Valls a changé la ville et a été réélu maire en 2008 avec 70,28 % des voix. Evry, c’est sa grande réussite. Arnaud Montebourg avait accusé Jean-Marc Ayrault de « gérer la France comme le conseil municipal de Nantes ». Il est clair que la tâche de Premier ministre n’est pas la même que celle de maire, mais il faut reconnaître à Manuel Valls une vraie expérience de terrain.

JOL Press : Au-delà de la sécurité, quelles ont été ses réussites mais aussi ses échecs à Evry ?

Jacques Hennen : La sécurité est sa vraie réussite parce que la ville en souffrait beaucoup mais l’urbanisme et la rénovation ont été aussi au cœur de ses préoccupations. Manuel Valls a embelli la ville : il a modernisé des quartiers, planté des arbres, tracé des routes et désenclavé certaines zones difficiles. Le point faible de son bilan – et il le reconnaît – se situe sur le plan économique. Certaines grandes entreprises ont quitté la ville, lorsqu’il était maire, et il n’a pas su les retenir. En termes d’emploi, il n’a pas non plus complètement réussi son pari. Avec son entrée au gouvernement, il a confié les clés de la ville à son ami Francis Chouat, qui vient d’être réélu. C’est désormais sur ces questions économiques que les habitants vont l’attendre.  

JOL Press : A Evry il était populaire, il l’est aussi en tant que ministre. Comment expliquer cette popularité ?

Jacques Hennen : Manuel Valls est quelqu’un qui fait ce qu’il dit, qui a une vraie autorité, qui en impose, qui agit, qui a de l’énergie et qui réussit à inspirer confiance. A Evry, les habitants ont constaté que cette politique musclée a payé et ils ont vu, au fil des mois et des années, leur ville changer sous leurs yeux. Et puis c’est un homme qui est constamment sur le terrain : il arpente les rues, se rend dans les écoles, visite les cages d’escalier et se rend ainsi extrêmement proche des citoyens. On a l’impression aujourd’hui qu’il est une sorte d’apparatchik parisien mais c’est un homme qui a fait le choix de quitter la capitale pour aller dans des banlieues très difficiles. Et c’est un courage qu’on peut lui reconnaître.

JOL Press : Au regard de cette expérience, quel Premier ministre peut-il être ?

Jacques Hennen : A titre personnel, il incarne l’autorité et l’énergie. Sur le plan politique, il se revendique social-démocrate ; ce positionnement n’est pas nouveau, déjà à 20 ans à la faculté de Tolbiac, aux milieux d’étudiants d’extrême-gauche, il se disait social-démocrate et Michel Rocard avait dit en le voyant : « Ce jeune homme a les neurones déjà bien rangé ».

Il avait, à 20 ans, une conception de la politique qu’on a habituellement d’avantage à 40 ou 50 ans. Pour lui, ceux qui promettent le « grand soir » aux Français les plus défavorisés sont des gens malhonnêtes et dangereux parce qu’il n’y a rien de pire que de promettre quelque chose qui n’arrivera pas. Manuel Valls est un pragmatique et un réaliste. Il préfère les petits matins qui changent, pas à pas, plutôt que les « grands soirs » qui n’arrivent jamais.

Il a des convictions très claires en matière économique et politique. Ses priorités sont l’ordre républicain et la sécurité au service des plus défavorisés mais aussi la laïcité. Il a toujours été un marginal au sein de sa famille politique : il a remis en cause les 35 heures, il était pour la TVA sociale qu’il appelait TVA protection et il était très tôt pour une réconciliation de la gauche avec le monde des entreprises. Sa politique en tant que Premier ministre sera certainement sur cette ligne.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques Hennen, 51 ans, a été rédacteur en chef du Parisien et a dirigé auparavant l’édition départementale de l’Essonne. Il a aussi été chef des services informations générales et politique duParisien.

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